Vague de froid glacial en Europe, inondations au Royaume-Uni, typhon meurtrier en Asie, sécheresse dans les Prairies céréalières aux États-Unis, ouragan dévastateur sur la côte atlantique jusqu'à New York.

L'année 2012 a été marquée par plusieurs intempéries d'une gravité inhabituelle, dans toutes les régions du monde.

On leur attribue au moins 180 milliards de dollars en «dommages économiques», un record. Et de cette somme, environ 70 milliards découlent de l'énorme ouragan Sandy qui a frappé la côte atlantique et la région de New York, lit-on dans le plus récent rapport sur les catastrophes naturelles de la société Swiss Re, de Zurich. Il s'agit de l'une des plus importantes firmes de réassurance du monde, à laquelle recourent la plupart des assureurs en dommages et responsabilités.

De l'avis d'experts du climat, de tels «événements météorologiques» très coûteux en vies humaines et en dommages économiques risquent fort de se multiplier et de s'aggraver, même, avec le réchauffement climatique.

Certes, les hypothèses à ce sujet fluctuent encore beaucoup selon l'avancement des observations et des analyses climatiques.

Mais dans le milieu des affaires, la possibilité de perturbations climatiques accentuées au fil des ans émerge de plus en plus comme un autre facteur de risque dans la gestion des entreprises.

Par conséquent, les investisseurs au capital de ces entreprises ont tout intérêt à s'y intéresser aussi, tout comme ils surveillent déjà la bonne conduite de leur plan d'affaires.

Évaluation du risque

«Les gestionnaires de placements, surtout ceux qui travaillent en analyse fondamentale des entreprises, n'ont plus le choix: ils doivent considérer de plus en plus le risque climatique dans la planification et le suivi de leurs portefeuilles», résume Benoît Brillon, analyste financier certifié (CFA) et gestionnaire de placements chez Gestion de portefeuille Landry, à Montréal.

Cette évaluation du risque climatique demeure toutefois empirique, du moins tant que les analyses du changement climatique ne permettront pas de le chiffrer davantage.

«Ce ne peut pas encore être très méthodique comme analyse, sans modèles chiffrés et éprouvés comme les apprécient souvent les investisseurs, admet M. Brillon.

«Toutefois, le niveau d'information sur les risques climatiques progresse vite et c'est un devoir pour tout gestionnaire de placements de suivre ça et de l'incorporer graduellement dans ses plans à moyen et long terme.»

«Ce n'est pas parce qu'il y a encore peu de données sur l'impact économique du changement climatique qu'il ne faut pas commencer à en tenir compte», souligne pour sa part un gestionnaire de risque dans une importante société d'investissement à Montréal, qui préfère garder l'anonymat.

«On peut déjà voir que les avantages et les désavantages liés aux effets du changement climatique varient selon les secteurs d'activité et les régions où ils surviennent. Par ailleurs, nous savons déjà que ces effets du changement climatique ont tendance à se manifester encore d'une façon et à un moment auxquels nous nous attendons peu.»

Mais en attendant des scénarios plus «monnayables», du point de vue des investisseurs, la prévention devant le risque accru d'événements météorologiques émerge aussi parmi les responsabilités des conseils d'administration des entreprises.

Déclarations annuelles

Ce domaine est celui de la «gouvernance», c'est-à-dire l'ensemble des devoirs et responsabilités des administrateurs d'entreprise envers leurs actionnaires, leurs employés et leurs clients. Mais aussi la société et l'environnement dans lesquels elles font affaire.

Parmi les critères de bonne gouvernance, l'analyse et la prévention des risques climatiques deviennent de plus en plus inévitables. Elles s'ajoutent à la gestion des risques environnementaux, déjà surveillée par des investisseurs et des actionnaires aux intérêts dits éthiques.

«L'enjeu des événements climatiques apparaît de plus en plus dans les déclarations annuelles de risques que les entreprises doivent faire auprès des autorités boursières, au Canada et aux États-Unis», explique Yvan Allaire, président de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP).

«Ça devient aussi une autre responsabilité des administrateurs devant les actionnaires en ce qui concerne la gestion des risques et des vulnérabilités qui peuvent toucher la valeur d'une entreprise.»

En contrepartie, souligne M. Allaire, les administrateurs d'entreprise doivent aussi moduler leurs efforts de prévention devant les grands événements climatiques pour éviter qu'ils musèlent leur plan d'affaires.

«C'est la notion du black swan [cygne noir] en gestion de risque. Il y a toujours des événements extrêmement rares dont les conséquences peuvent être graves. Il faut tenter de s'y préparer, certes. Mais si des administrateurs ou des actionnaires s'en préoccupent trop, ça peut devenir paralysant pour une entreprise et son plan d'affaires.»

179 milliards US

Dommages économiques causés par des catastrophes naturelles en 2012, la plupart des événements météorologiques.

70 milliards US

Pertes économiques attribuées à l'ouragan Sandy de 2012 sur la côte Est, des Antilles jusqu'aux Maritimes, et dont 35 milliards US ont été réclamés aux assureurs.

168

Catastrophes naturelles et météorologiques recensées dans le monde en 2012, trois fois plus qu'il y a 30 ans.

8000

Nombre de morts attribuées à des événements météorologiques exceptionnels survenus en 2012 dans le monde.

Source: Swiss Re Economic Research (Zurich)

Des fonds pour investir dans les changements climatiques

Il y a un nombre croissant de fonds d'investissement spécialisés pour les investisseurs qui manquent de ressources ou de temps pour choisir et gérer eux-mêmes les titres dans leur portefeuille. Eh oui, le changement climatique fait désormais partie des fonds spécialisés accessibles aux investisseurs!

Par l'entremise de fonds en gestion active, donc à frais plus élevés, mais aussi de fonds négociés en Bourse à tarifs réduits, ou FNB dans le jargon du placement.

Au Canada, les fonds gérés les plus clairement associés au changement climatique sont proposés par les filiales de deux grandes banques. Il s'agit du fonds «Global Climate Change» de la Banque Scotia, ainsi que le fonds «Sustainable Climate» de la Banque de Montréal/BMO.

Dans les deux cas, l'actif sous gestion est encore mince: 8,1 millions et 5,6 millions respectivement. Il est surtout investi en actions américaines et internationales. Par conséquent, les frais de gestion de ces petits fonds spécialisés sont relativement élevés, autour de 2,7%.

Pour trouver moins cher, les investisseurs peuvent se tourner vers des FNB qui, pour le moment, sont concentrés dans les titres liés à la gestion des eaux. Pourquoi?

Parce que c'est dans ce secteur que se multiplient les occasions d'affaires engendrées par les projets d'infrastructures rendus nécessaires pour parer aux effets du changement climatique, dans les zones d'habitation et d'agriculture vulnérables aux inondations.

Au Canada, la société iShares, filiale du groupe financier BlackRock, propose le FNB «iShares S&P Global Water Index» avec 25 millions en actif et un rendement au comptant de 2,6% par an. (TSX: CWW)

Dans les Bourses américaines, on trouve notamment le fonds «PowerShares Fund Water Resource Portfolio» (PHO), avec 897 millions en actif et un rendement au comptant de 0,7%, ainsi que le FNB «Guggenheim S&P Global Water Index» (CGW), qui s'affiche à 230 millions en actif et a un rendement au comptant de 1,9%.

En Europe, la filiale de fonds Lyxor du géant bancaire Société générale, de France, propose le FNB indiciel «Lyxor World Water». Ce fonds de 83 millions d'euros en actif s'échange sur le marché Tradegate du groupe boursier allemand Deutsche Borse.

Les professionnels du placement sont unanimes: les gestionnaires d'entreprise et leurs actionnaires doivent de plus en plus se préoccuper de leur gestion du «risque climatique».

Il s'agit du risque pour leurs activités, leurs actifs et leurs employés que posent les intempéries, dont l'intensité et la fréquence semblent s'accroître avec le changement climatique.

Évidemment, les hypothèses et les prévisions à ce propos fluctuent encore beaucoup. Mais de l'avis d'investisseurs professionnels, il est déjà possible de discerner les secteurs d'activités économiques qui seront avantagés ou non par les effets du changement climatique.

Quelques exemples:

Des secteurs désavantagés:

Activités dans les zones côtières et riveraines (commerce, immobilier, usine)

Assureurs en dommages et responsabilités

Transporteurs (air/terre/mer)

Tourisme et voyage

Cultures agricoles en climat chaud

Constructeurs de véhicules et fabricants d'équipements à fortes émanations de polluants atmosphériques

Producteurs pétroliers (baisse de revenus et de perte de valeur des réserves en cas de restrictions environnementales)

Marché des appareils et des énergies de chauffage

Des secteurs avantagés:

Production d'énergies dites «vertes», à peu ou pas d'émanations atmosphériques

Constructeurs de véhicules et fabricants d'équipement à très faibles émanations atmosphériques

Cultures agricoles en climat tempéré

Transports collectifs à faibles émanations atmosphériques

Fournisseurs d'intrants et commerçants (courtiers) en denrées agricoles

Gestion des eaux: traitement, canalisation, confinement, etc.

Marché des appareils et des énergies «vertes» de climatisation/ventilation

Industrie de l'enveloppe du bâtiment (architecture et génie, matériaux, installateurs et réparateurs)