Le 1er janvier 2013, un mur budgétaire de 600 milliards se dressera aux États-Unis. La vague d'austérité risque de provoquer une grave récession... et un choc dans le portefeuille des investisseurs. Mais l'élection du 6 novembre prochain peut encore changer la donne. Chronique d'une récession annoncée.

Grève générale en Grèce, manifestation antiaustérité en Espagne et au Portugal: les restrictions budgétaires pèsent lourd sur l'économie et la population, partout en Europe. Mais la vague d'austérité touchera bientôt les États-Unis.

«On parle beaucoup des problèmes de l'Europe, mais le déficit des États-Unis est l'un des pires du monde», dit Jean-René Adam, chef des placements adjoint et vice-président des marchés américains chez Hexavest.

Le déficit budgétaire américain s'élève à 9% du produit intérieur brut (PIB). Pire qu'en Espagne, qu'en Grèce, qu'en Irlande...

En fait, les finances des États-Unis sont étirées au maximum. Les dépenses du gouvernement sont à un sommet historique (à 24% du PIB, contre 20% en moyenne), tandis que ses revenus sont à un creux (à 15% du PIB, contre 18% historiquement).

«Ce n'est pas exactement une bonne combinaison», ironise Paul Taylor, chef des investissements chez BMO Asset Management.

Mais au moins, cela démontre que les Américains ont une certaine marge de manoeuvre pour rééquilibrer leur budget. Et ils n'auront pas le choix: un mur budgétaire se dressera automatiquement le 1er janvier prochain (voir texte ci-dessous).

Récession annoncée

Le jour de l'An 2013, plusieurs mesures entreront automatiquement en vigueur: réduction des dépenses gouvernementales, abolition de plusieurs d'allégements fiscaux...

Au total, cette vague d'austérité retirera 600 milliards de l'économie, ce qui représente environ 4% du PIB, comme le démontre notre tableau. «C'est gigantesque! Avec ça, les États-Unis sont assurés d'avoir une sévère récession», dit M. Adam.

Il faut dire que l'économie américaine roule déjà au ralenti, même si l'État a pesé sur l'accélérateur avec des politiques monétaires et fiscales extrêmement stimulantes. «Malgré tout, nous n'avons pas réussi à atteindre un taux de croissance annualisé de plus de 1,3% au dernier trimestre», constate Jack Ablin, chef des investissements, de la Banque privée BMO à Chicago.

Toutefois, les marchés financiers espèrent que le mur budgétaire sera moins haut que prévu. Le consensus s'attend à des mesures d'austérité d'environ 150 à 200 milliards. L'impact serait d'environ 1% du PIB, ce qui permettrait peut-être d'esquiver la récession de justesse.

Élections du 6 novembre

Tout dépendra de l'issue de l'élection présidentielle du 6 novembre prochain. Peu importe qui sera élu, le risque de faux pas sera élevé, estime Ed Sollbach, stratège chez Valeurs mobilières Desjardins. «Le président devra naviguer avec un «fiscal cliff» d'un côté et un déficit de 1000 milliards de l'autre», illustre-t-il.

Si Mitt Romney l'emporte, il sera plus simple d'arriver à une entente avec la Chambre des représentants qui sera certainement républicaine.

«Mais si le président Obama est réélu, avec une Chambre républicaine, le mur budgétaire sera plus difficile à résoudre et il n'y aura probablement pas de solution avant le début de 2013», avance M. Sollbach.

Comme avec la saga du plafond de la dette, le problème risque de se régler à la dernière seconde. «D'ici là, tout le monde va avoir peur», dit M. Adam. Ces craintes affectent déjà l'économie. Les entreprises sont sur la défensive. Elles ont réduit leurs investissements, préférant garder l'argent dans leurs coffres en vue d'une récession.

Une brique pour la Bourse

Pourtant, la Bourse américaine a grimpé de plus de 12% cette année, malgré l'ombre du mur budgétaire. La semaine dernière, l'indice S&P 500 a même dépassé son sommet historique de 2007, en incluant les dividendes.

Cela incite M. Adam à la prudence. «Actuellement, nous sommes très défensifs dans nos portefeuilles. Pour nous, c'est inquiétant», dit-il. Le gestionnaire préfère rester cantonné dans des secteurs moins vulnérables à un repli économique, comme les pharmaceutiques, la consommation de base et les services aux collectivités.

Et il garde sur son radar les secteurs qui pourraient être influencés par les élections américaines. Voici quelques exemples:

Défense

Avec des coupes prévues de 55 milliards, le secteur de la Défense sera sur le qui-vive. Ça risque de faire mal, surtout si le président Obama est réélu.

Énergie

Si Romney prend le pouvoir, on pourrait assister à une baisse des prix de l'énergie. Les républicains sont moins chatouilleux sur les questions environnementales. Les projets de fracturation hydrauliques pour l'exploitation du gaz de schiste avanceront plus rapidement, ce qui augmentera la production et réduira les prix de l'énergie, prédit M. Adam. Toutefois, M. Romney a promis de hausser le ton face à l'Iran, ce qui pourrait augmenter les tensions géopolitiques... et faire grimper le prix du pétrole.

Financières

Dans la foulée de la crise du crédit, le président a resserré les règles du jeu pour les banques. De son côté, Mitt Romney s'est engagé à alléger la réglementation des sociétés financières. Le secteur financier pourrait donc bien réagir à son élection.

Aurifères

Le président Obama appuie la politique du président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke. Mais pas Mitt Romney, qui a déjà promis de le congédier. Les républicains sont contre l'assouplissement quantitatif, contre le fait d'imprimer de l'argent pour déprécier la devise américaine. «Si la politique monétaire devient plus restrictive, ce sera mauvais pour le prix de l'or qui a beaucoup grimpé avec l'assouplissement quantitatif et la perte de confiance dans la devise américaine», explique M. Adam. Un risque important à surveiller...