Chaque samedi, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine Yanick Desnoyers, de la Caisse.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

Sans contredit, c'est «l'effet Bernanke». La semaine dernière, le patron de la Réserve fédérale américaine (Fed) a annoncé une troisième phase d'assouplissement quantitatif (QE3). Il va activer la planche à billets pour racheter des titres adossés à des hypothèques, à coup de 40 milliards de dollars par mois.

La stratégie de la Fed est de stimuler la création d'emplois en soutenant les exportations et l'immobilier. Son offensive se poursuivra aussi longtemps qu'il n'y aura pas d'amélioration tangible du marché du travail. Les marchés financiers ont très bien réagi. La Bourse a atteint un sommet. Le dollar américain a baissé par rapport à l'euro qui est passé d'environ 1,20$US à 1,30$US. Mais les investisseurs pourraient déchanter si l'intervention n'a pas l'effet prévu sur l'économie réelle.

Que surveillez-vous le plus attentivement en ce moment?

Tout le monde est au courant du précipice budgétaire aux États-Unis. Il y a plusieurs programmes de réductions d'impôt et de dépenses qui viennent à échéance en janvier. Le choc retrancherait 5 points de pourcentage au produit intérieur brut (PIB). Comme la croissance est à peine de 2%, ça provoquerait une récession de 3%. C'est énorme! Mais il ne faut pas crier au loup non plus. Aucun parti politique n'a avantage à provoquer une récession. Mais il y aura un resserrement budgétaire l'an prochain, peut-être de 1,5 point.

En plus, la dette américaine va frapper le nouveau plafond décrété l'an dernier. On se souvient que l'agence de crédit S&P avait alors retiré la cote AAA aux États-Unis. De novembre à mars, il va se passer beaucoup de choses. On surveille l'équilibre politique, à l'approche des élections. Si le président Obama se retrouve face à deux chambres républicaines, ce sera plus difficile de faire passer ses politiques. Cela crée de l'incertitude.

Que feriez-vous avec 10 000$ à investir?

Comme investisseur à moyen ou long terme, il faut profiter des grandes tendances. On parle d'urbanisation, d'émergence de la classe moyenne, de développement d'infrastructures. Les pays émergents sont une destination de choix. C'est une zone de croissance plus intéressante que les pays développés qui sont dans une phase de désendettement. Ça ne veut pas dire qu'il faut ignorer la Bourse canadienne qui bénéficie de la croissance des pays émergents puisque nous sommes un exportateur de matières premières.

D'autre part, on assiste à une renaissance du secteur industriel aux États-Unis. On s'entend qu'on n'est plus à l'époque des chemins de fer! Mais la délocalisation des années 2000 est pas mal terminée. Plusieurs firmes reviennent au bercail pour implanter des usines aux États-Unis. Pourquoi? Le dollar est bas. Et, la découverte des gaz de schiste a réduit le coût de l'électricité, ce qui rend les sociétés plus productives. Cela est favorable aux exportateurs canadiens concentrés au Québec et en Ontario.

Quel placement évitez-vous à tout prix?

Il faut se méfier des obligations des gouvernements. Il serait naïf de penser que les taux d'intérêt vont rester au plancher ad vitam aeternam. Présentement, les taux des obligations du Canada sont en dessous de 2% sur 10 ans, ce qui est inférieur à l'inflation. Les taux réels sont donc négatifs. Habituellement, le taux réel correspond à la croissance économique réelle. Là, on a un gros découplage, parce que les consommateurs américains n'ont pas fini leur désendettement. Mais on a environ les deux tiers d'accomplis.

Pour l'instant, les banques centrales maintiennent leur taux directeur à zéro, mais il ne faudrait pas se surprendre qu'elles le relèvent à 3,5% ou 4% d'ici quelques années. Cela déclencherait une perte en capital pour les détenteurs d'obligations.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus présentement?

Il y a une lune de miel entre les investisseurs et les banques centrales. Mais les marchés surestiment l'impact que les banques centrales peuvent avoir sur l'économie réelle. En Europe, ce n'est pas parce qu'on finance des États que la croissance économique sera au rendez-vous. Et aux États-Unis, la Fed affronte le désendettement du consommateur et le précipice budgétaire. Son QE3 aura-t-il autant d'effet que la première phase d'assouplissement? C'est un peu comme un tour de magie, quand c'est la troisième fois qu'on le voit, on est moins surpris!

Depuis mai 2011, Yanick Desnoyers occupe le poste de chef économiste adjoint à la Caisse de dépôt et placement du Québec, le plus grand investisseur au Québec avec des actifs de 159 milliards. M. Desnoyers compte plus de 15 ans d'expérience à titre d'économiste, notamment à la Banque Nationale et à la Banque du Canada.