Chaque samedi, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Pierre Lussier, président de Sipar.

Q: À votre avis, quel est l'évènement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

Nous ne nous attardons pas trop à ce qui se passe au jour le jour. Nous préférons regarder la toile de fond qui demeure positive. Les États-Unis devraient connaître une croissance économique de l'ordre de 2,5% de l'économie réelle en 2012.

D'une part, on ne voit pas de récession cette année. Et d'autre part, il y a peu d'inflation à l'horizon, en raison de l'écart de production: présentement, le niveau d'activité de l'économie est très faible par rapport à son plein potentiel. De plus, la remontée des taux d'intérêt à court terme n'est pas une menace. Et l'évaluation boursière demeure attrayante. Mais d'un point de vue tactique, nous sommes prudents. Nous avons haussé notre encaisse, parce qu'on s'attend à une correction des marchés, au cours des prochains mois.

Q: Quel indicateur suivez-vous le plus en ce moment?

Nous suivons le sentiment des investisseurs et des entrepreneurs qui était extrêmement pessimiste en août dernier. Maintenant, le sentiment se trouve dans une zone d'optimisme extrême. Nous, on achète des pessimistes et on vend aux optimistes, lorsque le marché se trouve dans des extrêmes.

De plus, les marges bénéficiaires des sociétés atteignent un niveau record, à 9,9%, et on constate que les investisseurs initiés, c'est-à-dire les dirigeants d'entreprises, sont de moins en moins acheteurs. Ce n'est pas un signe positif.

Q: Que feriez-vous avec 10 000$ à investir?

Ce que je ferais avec 10 000$? Je les garderais en «cash». Je n'investirais pas dans le marché boursier aujourd'hui. J'attends que la Bourse se corrige. Je réinvestirai mon encaisse lorsque le sentiment redeviendra négatif. Je suis prêt à attendre, même plusieurs mois. Je ne suis pas pressé, contrairement à la majorité des investisseurs.

Q: Quel placement éviteriez-vous à tout prix?

J'investis dans une perspective de trois à cinq ans. Il y a peu de roulement dans mon portefeuille (10-20% par année), ce qui démontre que j'ai des convictions.

Pour paraphraser Warren Buffett, je dirais qu'on peut attribuer une grande part du succès d'un investisseur à son inactivité. Or, la plupart des investisseurs ne peuvent pas résister à la tentation de constamment acheter et vendre.

Mais lorsque j'augmente l'encaisse dans mon portefeuille, je le fais au détriment des titres les plus cycliques, les plus sensibles à un recul, mais aussi les plus liquides pour que je puisse en racheter aisément si le marché baisse.

Q: Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus présentement?

Même si la toile de fond demeure positive, il y a des risques de nature structurelle. On n'y croit pas, mais si l'économie retombait en récession, les autorités monétaires et les gouvernements n'auraient plus de flèches dans leur carquois. Ils ne peuvent baisser les taux d'intérêt. Ils ne peuvent plus augmenter leur déficit, ni leur niveau d'endettement.

Aux États-Unis, l'endettement total (gouvernement, sociétés, consommateurs) a grimpé presque en ligne droite de 130% du PIB en 1952, jusqu'à 386% du PIB en 2009... pour ensuite redescendre à 353%, ce qui demeure élevé. Cette dette, tant aux États-Unis que dans la zone euro, pourrait créer un effet domino et nous mener dans un cul-de-sac.

Pierre Lussier compte plus de 20 ans d'expérience en investissement, dont 13 ans à la Caisse de dépôt et placement du Québec. L'an dernier, M. Lussier est devenu président de Sipar, où il était entré en 2007. Fondée en 1991, la firme montréalaise qui se spécialise dans les actions québécoises gère 325 millions d'actifs pour des clients institutionnels.