En 1967, le Québec découvrait le monde à l'Expo. Claude, lui, y découvrait l'univers de la philatélie. «J'avais 15 ans et j'étais fasciné par la collection de timbres exposée dans un des pavillons. C'est à ce moment que j'ai acheté mes premiers timbres et ma passion dure depuis ce temps», raconte le sexagénaire.

Au fil des années, Claude a amassé une impressionnante collection, dont il estime la valeur à environ 100 000$. Il a fréquenté pendant longtemps les expositions philatéliques, pour acheter et vendre des pièces. Aujourd'hui, ces transactions se font par l'internet. C'est pourquoi Claude s'est inscrit au site de commerce en ligne eBay en 2008. «Avec les années, j'ai réalisé que j'avais trop de timbres, alors je me suis mis à en vendre beaucoup plus que j'en achetais», explique-t-il.

Le collectionneur, qui a un emploi à temps plein, a toujours considéré la philatélie comme un simple passe-temps. Il n'a jamais déclaré au fisc les revenus qu'il tirait de ces ventes. Revenu Québec vient de le rappeler à l'ordre: selon le gouvernement, il s'agit de revenus d'entreprise, sur lesquels il doit payer des impôts. Résultat: on lui réclame plusieurs milliers de dollars en impôts impayés pour les années 2008, 2009 et 2010, auxquels il faut ajouter des intérêts et de lourdes pénalités. Le philatéliste est indigné. «Je vends des timbres que je possède depuis 40 ans! Nommez-moi une entreprise qui conserve sa marchandise pendant 40 ans avant de la vendre!»

Si le gouvernement a dans sa ligne de mire des collectionneurs comme Claude, c'est qu'il a accès à toutes les transactions réalisées sur eBay, rappelle le fiscaliste et planificateur financier Raphaël Hainault, de la Financière des professionnels, que nous avons consulté à ce sujet. En avril 2008, Revenu Canada a obtenu gain de cause en Cour d'appel fédérale dans un litige l'opposant au site de commerce en ligne. «Cette décision fait jurisprudence et permet maintenant au fisc fédéral et québécois d'exiger d'eBay des informations comme les coordonnées des vendeurs et le montant des ventes réalisées», explique M. Hainault. Revenu Canada s'est surtout intéressé à ceux qui faisaient plus de 24 transactions et vendaient plus de 20 000$ par année.

Une défense ardue

C'est justement le cas de Claude. Et il aurait sans doute beaucoup de difficulté à convaincre le fisc que ses ventes ne s'apparentent pas à celles d'une entreprise, selon Raphaël Hainault. «Tous les revenus sont imposables, souligne-t-il. En fait, selon la loi, on devrait déclarer même les revenus tirés d'une «vente de garage» ou d'un marché aux puces. Mais le fisc ne fera sans doute pas de chasse aux sorcières s'il s'agit de ventes ponctuelles.» D'autant plus, explique-t-il, que si l'on vend un bien dont la valeur s'est dépréciée, comme notre vieux canapé ou notre ancienne voiture, il n'y a pas de gain à déclarer.

Claude pourrait tenter de convaincre le fisc que ses ventes de timbres lui procurent simplement un gain en capital, imposable à 50% seulement. Mais une telle démarche pourrait être longue et pénible, selon le spécialiste. «La ligne est bien mince entre le revenu tiré d'une entreprise et le revenu tiré de la vente d'un bien, dit-il. C'est la jurisprudence qui, par le passé, a tracé cette ligne en établissant certains critères pour déterminer si une entreprise est exploitée.» Parmi ces critères, on retrouve le risque encouru (plus le risque de perte est grand, plus l'activité est assimilée à une entreprise), le temps qui y est consacré (plus cela nécessite de temps, plus on s'approche d'une entreprise), l'expectative de profit, le nombre de transactions effectuées, la valeur des ventes annuelles, etc. À noter que chacun de ces critères pris individuellement ne suffit pas à lui seul à déterminer si une entreprise est exploitée. C'est l'ensemble des faits qui est pris en compte.

Pour Claude, la meilleure stratégie serait d'amasser le plus possible de preuves de ses achats de timbres et des dépenses liées à ses transactions, comme ses frais de bureau, ses frais d'inscription à eBay et PayPal et ses frais postaux. Il pourrait ainsi réduire le montant d'impôts à rembourser et la pénalité imposée.

C'est justement ce que le collectionneur a fait, même s'il ne possède plus les factures d'achat de la plupart de ses timbres, acquis il y a des lustres. Il se prépare à payer à Revenu Québec l'impôt sur ses gains des dernières années, en plus d'une pénalité de 50% sur cette somme et des intérêts encourus. Il estime que sa facture atteindra près de 8000$. Et il s'attend à avoir bientôt des nouvelles de Revenu Canada, qui ne lui a toujours rien réclamé.

Il a partagé son expérience avec les lecteurs de «Sous la loupe» pour mettre en garde d'autres collectionneurs contre la facture qui leur pend au bout du nez. «Si vous avez un passe-temps auquel vous voulez vous consacrer à la retraite, n'oubliez pas de tenir compte de l'impôt que vous aurez à payer», dit-il.

Claude, 60 ans, doit près de 8000$ au fisc québécois après avoir vendu des timbres de collection sur eBay. Est-il vrai que ces ventes doivent être considérées comme des revenus d'entreprise ?

LES DONNÉES

Revenu d'emploi : 100 000$ par année

Valeur de la collection de timbres : 100 000$

Ventes sur eBay :

en 2008: 30 124$ moins 19 824$ d'achats et de frais = 10 300$ de revenu net

en 2009: 23 721$, moins 15 646$ d'achats et de frais = 8075$ de revenu net

en 2010: 20 578$, moins 17 285$ d'achats et de frais = 3293$ de revenu net