Chaque samedi, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Luc Fournier, de l'Industrielle Alliance. La crainte d'un plongeon comme l'an dernier

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

Après un début d'année très solide, le comportement de la Bourse est hésitant depuis le début de mars. Les intentions des directeurs d'achat sont moins fortes un peu partout dans le monde, surtout en Europe, mais aussi en Chine où l'indice HSBC PMI (Purchasing Managers Index) a été plus faible, ce qui a donné une douche froide aux investisseurs.

Maintenant, on se demande si on aura une réédition du scénario qu'on avait eu l'année dernière, avec un bon début d'année, suivi par la crise européenne, le Printemps arabe, le tsunami au Japon... L'activité économique avait été moins vigoureuse au milieu de l'année et la Bourse s'était repliée de plus de 20%.

Évidemment, la Bourse a beaucoup remonté depuis six mois ("10%). Certains pensent qu'elle a monté trop vite. Peut-être qu'on pourrait revivre le même scénario que l'an dernier, surtout que les données économiques à court terme sont un peu plus faibles que la tendance de janvier-février. Cela amène une dynamique plus difficile dans les marchés: il n'y a pas de tendance, les volumes de transactions sont faibles, le sentiment est plus négatif.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment?

Les données économiques devront recommencer à donner des signes de vigueur et non pas confirmer la faiblesse qu'on a observée depuis quelques semaines. On aimerait voir une poursuite de la création d'emplois aux États-Unis. Et on suit ce qui se passe en Chine, qui retient beaucoup l'attention en ce moment.

On suit aussi les interventions des gouvernements. Est-ce que la Réserve fédérale américaine va mettre en place une nouvelle politique monétaire pour maintenir les taux à court terme faibles? Y aura-t-il un nouveau programme afin de nettoyer le marché des hypothèques résidentielles aux États-Unis?

Que feriez-vous avec 10 000$ à investir?

En considérant les taux d'intérêt et l'évaluation boursière, c'est sûr que j'irais avec les actions, sur un horizon de long terme. Les actions sont bon marché, à environ 12 fois les prévisions des profits des entreprises, ce qui demeure sous la moyenne historique. Et du côté des obligations, les taux d'intérêt réels sont négatifs. Entre les deux, je préfère les actions qui me donnent un dividende et la possibilité de réaliser un gain en capital.

En me fondant sur un scénario de poursuite de la reprise économique, je pense qu'il faut un portefeuille qui repose sur les matières premières, l'énergie et les produits de consommation. Des titres qui auront du punch si l'économie se maintient!

Quel placement évitez-vous à tout prix?

Je n'ajouterais pas d'argent dans les sociétés de services publics (ex.: TransAlta, Fortis) ou de services de télécommunication (ex.: BCE). Leurs actions ont servi de refuge l'an dernier et leurs titres ont beaucoup monté parce que les taux d'intérêt baissaient (ce qui rehausse toujours l'attrait des entreprises qui versent un dividende élevé). Maintenant, les taux ne baissent plus. Et ces secteurs-là ne vont nulle part.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus présentement?

La Bourse a beaucoup remonté depuis l'automne dernier, mais le mouvement n'était pas accompagné d'un volume élevé. Il n'y a pas eu d'entrées d'argent importantes dans les fonds communs d'actions. Les particuliers ne réalisent pas que la Bourse a doublé depuis le creux de 2009.

Pourquoi les investisseurs sont-ils si négatifs? On entend moins parler de la crise européenne. Aux États-Unis, le système financier va mieux: la semaine dernière, la majorité des grandes banques ont passé haut la main des tests de résistance à des chocs, alors que les critères étaient très sévères. Je pense que si on réussit à ramener l'emploi et la confiance des consommateurs, que si on parvient à nettoyer le marché hypothécaire, l'économie pourrait nous surprendre.

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Luc Fournier est gestionnaire d'actions canadiennes pour l'Industrielle Alliance, quatrième assureur en importance au pays. Avec plus de 25 ans d'expérience, il gère des actifs d'environ 700 millions selon une approche «valeur» qui mise sur les sociétés sous-évaluées.