-Allo, Grand-maman!       -Arnaud*? C'est toi, qu'est-ce qui se passe? T'as une drôle de voix, s'inquiète la dame de 75 ans qui vit dans une résidence à Laval.        

-Oui, c'est moi, mais je suis blessé au nez. J'ai eu un accident d'auto avec un taxi qui allait reconduire des étrangers à l'aéroport. Je suis au Palais de Justice de Montréal. Un avocat me dit que je devrais régler ça à l'amiable. Il me faut 2000$ maintenant. Est-ce que tu pourrais me transférer l'argent? Je vais t'indiquer comment.

-Mais je ne peux pas faire ça au téléphone... Pourquoi est-ce que tu ne demandes pas à ton père de t'aider.

-On a eu une discussion dernièrement et nos relations sont moins bonnes. Il ne faut pas que tu lui parles de ça.

-Bon, je vais appeler ma caisse. Rappelle-moi dans une heure, dit la grand-mère qui, après avoir raccroché, se décide plutôt à alerter son fils. Pour en avoir le coeur net, le père fait un saut au Palais de justice. Sur place, personne! Le coup classique de l'arnaque du grand parent où un escroc soutire de l'argent à une personne âgée, en se faisant passer pour un membre de la famille en difficulté.

Un Canadien sur cinq

Les personnes âgées demeurent plus vulnérables à la fraude financière, confirme un sondage de la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique, dévoilé au début de mars dans le cadre du mois de la prévention de la fraude.

Au sein de la population de 50 ans et plus, près d'un Canadiens sur cinq (17%) a déjà été victime de fraude financière au moins une fois dans sa vie. C'est encore plus fréquent chez les hommes (24%) et chez les investisseurs actifs (29%). Mais bonne nouvelle: la proportion de victimes de fraude est deux fois moins grande au Québec, où seulement 7% des gens se sont déjà fait attrapés.

Reste qu'au Québec, plus de 150 000 aînés sont victimes d'abus ou de négligence, l'abus financier étant le plus fréquent, estime le Réseau Fadoq qui représente les intérêts des gens de 50 ans et plus.

«Malheureusement, en vieillissant on perd des aptitudes, qu'elles soient physiques ou mentales. On devient plus susceptible de se faire frauder. Quand on leur présente quelque chose de compliqué, certaines personnes âgées n'osent pas dire qu'elles n'ont rien compris. Elles ont tendance à répondre: oui, oui, c'est beau, et à signer», rapporte Danis Prud'homme, directeur général du réseau Fadoq.

Fraude émotive

Le plus souvent, les personnes âgées sont lésées par un ami ou par un membre de leur famille: enfant, petit enfant, conjoint... Soit qu'elles leur font aveuglément confiance. Soit qu'elles n'osent pas leur dire non par crainte de représailles.

«L'exploitation financière commence souvent après un problème de santé ou le décès d'un conjoint ou d'un ami proche. Les personnes seules ou en mauvaise santé sont plus vulnérables», explique le guide Ma retraite, Mes droits, Mes finances, produit par l'ACEF des Basses-Laurentides.

L'abuseur peut s'y prendre de bien des façons: il peut contrefaire la signature et encaisser des chèques sans autorisation, obtenir de l'argent sous la menace, exiger une modification du testament, etc.

Mais la fraude financière chez les aînés reste un grand tabou. «Les gens ont honte de dire qu'ils se sont fait avoir, surtout par un membre de la famille», explique M. Prud'homme.

Il raconte à quel point les gens qui assistent aux ateliers Aîné-Averti, offerts par un policier et un bénévole de la Fadoq, en ressortent bouleversés. «Pendant nos séances, plusieurs pleurent dans la salle, dit-il. Certains vont voir le policier à la fin pour demander une rencontre privée.»

La réaction est aussi émotive dans les ateliers offerts par l'ACEF des Basses-Laurentides depuis 2011. Les aînés ne réalisent pas toujours qu'un proche abuse de leur bonté. Pour qu'ils en prennent conscience, l'ACEF leur présente un minitest. On leur demande entre autres:

- Avez-vous déjà prêté de l'argent à un proche qui ne vous l'a jamais remis?

- Pour vous, soutenir financièrement les enfants qui manquent d'argent ou ont des problèmes financiers c'est: Pas votre rôle, possible, naturel.

- Dire «non» à quelqu'un que vous aimez c'est: Dire «oui» à vous-même, difficile, impossible.

«C'est très délicat. Il y a des gens qui pleurent parce que ça met des mots sur ce qu'ils vivent», explique la conseillère Jacinthe Nantel.

Pour les aider, l'ACEF leur suggère d'abord de se rattacher à une autre personne de confiance qui peut devenir leur allié. «Souvent, l'abuseur fait le vide autour de sa victime, dit Mme Nantel. Il faut briser l'isolement.»

*Nous avons changé le nom du jeune homme.