Chaque samedi, un financier différent répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Jean Charbonneau, d'AGF.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

Je pense que c'est le désenchantement des marchés face aux résultats du sommet de l'Union européenne à Bruxelles, à la fin de la semaine dernière. Les attentes étaient élevées. Et les politiciens ont accouché d'une souris. On est encore loin d'une union fiscale.

Les vrais problèmes ont encore une fois été reportés à plus tard. Le système financier européen et la liquidité restent fragiles. Et le financement à long terme de la Grèce, de l'Irlande et du Portugal doit encore être assuré par la «troïka», c'est-à-dire l'Union européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international.

Bref, il n'y a rien de réglé. Ça dure depuis 2009 et on est encore en train de payer les factures d'épicerie de la Grèce. Si rien n'est fait, les agences de crédit ont menacé de réduire la cote de crédit de tous les pays européens d'un cran ou deux, la semaine dernière. C'est un autre facteur qui affecterait les marchés boursiers.

Quel indicateur surveillez-vous le plus attentivement en ce moment?

Je regarde particulièrement deux indicateurs. D'abord, je suis le CRB Raw Industrial Index qui est composé d'une douzaine de denrées industrielles comme le cuivre, le coton, le caoutchouc (mais pas le pétrole, ni le bois). C'est un indice qui présente une forte corrélation avec l'évolution de l'activité économique mondiale et aussi avec l'indice S&P500 de la Bourse américaine. L'indice, qui est à la baisse depuis le printemps dernier, se situe présentement autour de 515$.

Je surveille aussi l'indice du dollar américain face à un panier de devises de ses grands partenaires commerciaux, notamment l'Europe, le Canada et le Japon. Comme le dollar américain est perçu comme une valeur refuge, cet indice permet de mesurer l'appétit pour le risque des investisseurs.

Quand le dollar américain monte, c'est signe que le stress augmente et que les investisseurs prennent moins de risque (risk off). Quand le dollar baisse, c'est l'inverse: les investisseurs sont plus audacieux (risk on).

Avec les tensions récentes, l'indice est remonté à plus de 80$US, alors qu'il n'était que de 73$US au printemps dernier, quand la situation allait mieux. Cela reste moins qu'au plus creux de la récession de 2009, alors que l'indice avait atteint 89$US.

Que feriez-vous avec 10 000$ à investir?

Je mettrais la moitié dans un fonds d'obligations de marchés émergents en monnaie locale. Présentement, c'est la catégorie d'actifs la plus intéressante et la plus sous-évaluée. Quand les choses vont se stabiliser, les devises des pays émergents devraient en profiter.

Je mettrais l'autre moitié dans un fonds d'obligations à rendement élevé. Présentement, l'indice phare de ces obligations de sociétés américaines offre un rendement de 8,7%, soit un écart de 770 points de base (7,7%) par rapport au rendement des obligations du gouvernement. C'est davantage que la moyenne historique qui est d'environ 550 points. C'est une belle occasion pour ceux qui ne croient pas à un scénario de récession.

Quel placement évitez-vous à tout prix?

J'éviterais surtout de faire du «market timing». Dans un contexte de grande volatilité, c'est très difficile, pour ne pas dire suicidaire. On peut faire 10% en un mois, dans un sens comme dans l'autre.

Sinon, je n'ajouterais pas d'obligations gouvernementales à long terme qui seront sous pression à moyen terme.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus présentement?

On sous-estime l'effort nécessaire pour le désendettement des pays développés. On a vécu pendant des années à crédit. On ne peut pas se retourner sur un 10 cents. Il faudra des années pour y arriver.

Jean Charbonneau oeuvre depuis cinq ans chez Placements AGF. À titre de vice-président principal, il dirige l'équipe de gestion de titres à revenus fixes de la société de fonds communs de placement. AGF gère 46 milliards d'actifs pour plus d'un million d'investisseurs.