Coincé entre l'arbre et l'écorce? Cette expression populaire résume plutôt bien le sentiment des investisseurs boursiers envers les entreprises de produits forestiers et papetiers.

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D'une part, la méfiance subsiste envers une industrie qui, dans l'est du Canada surtout, apparaît encore très fragilisée par la crise qui l'afflige depuis des années.

Au Québec en particulier, cette crise a eu des conséquences économiques graves dans plusieurs régions. Elle a poussé des entreprises au bord de la faillite, comme AbitibiBowater et Tembec.

D'autre part, les investisseurs se font dire par un nombre croissant d'analystes que le pire serait bel et bien passé pour l'industrie forestière.

Même si les indices de relance demeurent embrouillés, plusieurs entreprises qui ont rationalisé leurs actifs et recentré leur plan d'affaires sont dans une position avantageuse en vue de profiter rapidement d'un rebond conjoncturel.

Dans le milieu boursier, une telle perception équivaut à une occasion d'investir dans un secteur encore mal-aimé, en prévision d'un regain de valeur.

Parmi les analystes, les recommandations d'achat dominent envers les actions d'entreprises comme Domtar, AbitibiBowater et Cascades, dirigées de Montréal. On y retrouve aussi les West Fraser et Fortress Paper, basées à Vancouver.

«Après le ressac baissier des derniers mois, c'est le temps de songer à un retour dans les titres de l'industrie forestière et papetière», suggère Richard Kelertas, analyste chez Marchés des capitaux Dundee à Montréal dans une récente mise à jour sectorielle.

Ses principales raisons? Dans l'immédiat, M. Kelertas souligne que la valeur boursière de ces entreprises s'est abaissée suffisamment face aux craintes d'un autre ralentissement de l'économie mondiale et nord-américaine.

Or, les plus récents indices de conjoncture suggèrent que cet autre ralentissement économique pourrait être moins pire que prévu, ce qui augure mieux pour les marchés des produits forestiers et papetiers.

Par ailleurs, l'analyste Richard Kelertas estime que les investisseurs boursiers sous-estiment l'impact financier positif de la rationalisation survenue dans cette industrie depuis quelques années.

«Les compagnies canadiennes ont maintenant une structure de coûts qui est nettement amaigrie par rapport à ce qu'elle était il y a cinq ou six ans. Leur gestion de leurs fonds générés et de leur capital se porte aussi beaucoup mieux, grâce notamment à la fermeture de nombreuses usines inefficaces ou déficitaires.»

Selon M. Kalertas, l'industrie forestière et papetière au Canada affiche un bilan financier «en bien meilleure santé» pour résister à une conjoncture économique encore maussade.

Entre autres, l'analyste souligne que le ratio d'endettement moyen (dette/capital) de l'industrie cote maintenant à 27%, comparativement à plus de 50% il y a cinq ans.

Bois d'oeuvre

Cela dit, les analystes estiment que la nébulosité économique qui persiste a un impact différent selon les marchés de l'industrie papetière et forestière.

Le secteur de la production de bois d'oeuvre se ressentira encore pour un bon moment de la crise de l'immobilier résidentiel qui persiste aux États-Unis.

«Nous avons abaissé nos prévisions de résultats dans le bois d'oeuvre en raison de la faiblesse du marché résidentiel américain et d'un repli anticipé des exportations vers la Chine», résume l'analyste Benoît Laprade, de Capitaux Scotia à Montréal, dans son plus récent bulletin de l'industrie des produits forestiers et papetiers.

Pour sa part, dans un avis sur le marché résidentiel publié jeudi, l'économiste Sébastien Lavoie, de Valeurs mobilières Banque Laurentienne, dit s'attendre à ce que la déprime des mises en chantier aux États-Unis dure encore trois ans.

Pour le moment, à moins de 700 000 unités par an, elles se situent à leur niveau le plus bas depuis les années 1950!

En Bourse, les actions d'importants producteurs de bois d'oeuvre et de panneaux ont écopé depuis le début de l'année.

Néanmoins, des analystes y voient une occasion d'investissements opportunistes dans des sociétés comme West Fraser et Canfor, dans l'ouest du Canada, et Norbord dans l'est.

«Le marché du bois d'oeuvre et des panneaux est dans un creux de cycle alors que le marché résidentiel aux États-Unis est en voie de stabilisation, sinon sur le point de reprendre du mieux», souligne l'analyste Richard Kelertas, de Marchés des capitaux Dundee.

Chez Marchés des capitaux RBC, l'analyste du secteur forestier, Paul Quinn, a indiqué lors de la publication des résultats de Canfor, hier, qu'il s'attend à «une relance des prix du bois d'oeuvre en 2012».

Papetiers

Dans les produits papetiers, les résultats d'exploitation des principaux producteurs varient encore beaucoup selon leur créneau de marché et leur stratégie d'entreprise.

Par exemple, Domtar a publié jeudi dernier des résultats de troisième trimestre qui, de l'avis d'analystes, valident sa diversification vers des produits à plus haute valeur ajoutée.

L'entreprise vient de conclure l'achat pour 315 millions US de la firme Attends Heathcare, un fabricant de produits papetiers d'hygiène qui établit en fait la nouvelle division de Soins personnels de Domtar.

Cette acquisition s'intègre dans les résultats de Domtar alors que ses marchés habituels dans les papiers d'impression et la pâte à papier sont à nouveau affectés par l'incertitude économique.

Selon l'analyste Paul Quinn, cette dynamique positive chez Domtar demeure sous-estimée parmi les investisseurs boursiers.

«Les actions de Domtar se négocient à des multiples inférieurs à ceux des entreprises comparables, mais ce sentiment négatif est exagéré. Ce n'est qu'une question de temps avant que Domtar regagne la faveur des investisseurs», explique-t-il dans une note-minute émise hier.

Chez l'autre grande papetière dirigée de Montréal, AbitibiBowater, c'est lundi que sont attendus les prochains résultats trimestriels.

Les analystes anticipent un bénéfice de 47 cents US par action, ce qui sera assurément mieux que la perte de 1,70$ par action déclarée lors du troisième trimestre 2010, alors que l'entreprise était en réorganisation sous protection judiciaire.

Toutefois, les analystes s'attendent aussi à des pressions négatives sur les revenus d'AbitibiBowater, avec le ralentissement de l'économie mondiale et la décroissance du marché du papier journal.

En contrepartie, AbitibiBowater bénéficie d'un bilan financier avantageux après l'épurement forcé de son passif au cours des deux dernières années.

Selon l'analyste Richard Kelertas, AbitibiBowater s'est gagné ainsi une position concurrentielle prometteuse dans les marchés en croissance comme l'Amérique latine et l'Asie.

On ne peut en dire autant à propos de Cascades, qui peine à maintenir ses résultats d'exploitation face aux difficultés de ses marchés de produits d'emballage et de d'hygiène.

Cascades a fermé des usines récemment et d'autres fermetures sont encore possibles à moyen terme, a admis son président, Alain Lemaire, lors d'une récente conférence d'affaires à Montréal.

En contrepartie, Cascades veut continuer d'investir en innovations et en améliorations d'usines pour rehausser sa compétitivité.

Selon l'analyste Pierre Lacroix, de Valeurs mobilières Desjardins, Cascades pourrait accroître ses immobilisations de 60% jusqu'à 250 millions par an.

Cette ambition obtient encore peu d'écho en Bourse, où les actions de Cascades ont été dépréciées d'un tiers depuis le début de l'année.

Mais parmi les analystes, cette déprime boursière de Cascades est un motif d'en recommander l'achat.