L'ombudsman des services bancaires et d'investissement, censé régler les litiges entre les institutions financières et leur clientèle, se retrouve lui-même au centre d'une controverse. Mécontentes de l'ombudsman, certaines firmes de courtage ne veulent plus se soumettre à l'OSBI. Mais plusieurs organismes de protection des investisseurs ont dénoncé cette mutinerie. L'arbitre n'est peut-être pas parfait, disent-ils, mais ce n'est une raison pour le mettre hors jeu.

Ça brasse à l'OSBI! Depuis quelques semaines, l'ombudsman des services bancaires et d'investissement se fait bousculer par certaines grandes firmes de courtage qui ne veulent plus se soumettre à cet arbitre du secteur financier.

L'OSBI (Ombudsman des services bancaires et d'investissement) traite les plaintes des investisseurs qui n'ont pas réussi à s'entendre avec leur institution financière. Pour le consommateur, ce service gratuit constitue l'une des rares alternatives à une poursuite en justice, longue et coûteuse.

Depuis 2002, les firmes de courtage sont obligées de participer à l'OSBI, en vertu des règles de l'Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM).

Mais, en mai dernier, plusieurs firmes comme RBC, TD et Manuvie ont fait pression pour avoir le droit de quitter l'OSBI. Ces firmes souhaiteraient pouvoir choisir et financer elles-mêmes un autre organisme indépendant de traitement des plaintes.

Montée de boucliers

Or, les organismes de défense du droit des investisseurs ont vivement réagi à cette «mutinerie».

«Pour assurer la protection des investisseurs, il est essentiel de maintenir un seul et unique organisme de résolution des litiges», considère FAIR Canada, la fondation canadienne pour l'avance du droit des investisseurs, qui a écrit une lettre aux autorités réglementaires, au début du mois de juin.

Selon FAIR, l'éclatement de l'OSBI mènerait à une fragmentation des services de conciliation qui créerait un risque «sérieux de conflit d'intérêts».

Même son de cloche de la part du MEDAC, au Québec. «On croit que l'ombudsman a vraiment un rôle important à jouer. C'est un organisme qu'il faut conserver, mais aussi bonifier», estime Louise Champoux-Paillé, administratrice du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MEDAC).

À son avis, une multiplication des organismes de gestion de plaintes entraînerait un dédoublement de coûts et de l'expertise. «L'OSBI a développé une expertise. Il y a déjà beaucoup de travail qui a été accompli depuis que l'ombudsman existe», dit-elle.

C'est sans compter qu'un éparpillement des services de plaintes créerait encore plus de confusion chez les investisseurs.

«C'est long d'amener le consommateur à connaître les mécanismes de protection qui s'offrent à lui. Ç'a été long pour l'OSBI de se faire connaître», souligne Anne-Marie Poitras, conseillère stratégique en optimisation de la relation client et de la gestion des plaintes dans le secteur financier et associée chez CFC Dolmen Management et ressources humaines.

Au coeur du litige

La grogne contre l'OSBI couve depuis plusieurs mois. Il y a eu une «augmentation préoccupante du nombre de conflits mineurs entre l'OSBI et des firmes d'investissement à propos de sujets qui, auparavant, ne posaient pas de problème particulier», indique le procès-verbal de la dernière séance du conseil de l'OSBI.

Il faut dire qu'avec la crise financière, les plaintes d'investisseurs mécontents ont explosé. L'OSBI a enregistré une hausse de 73% du nombre de dossiers portant sur les placements en 2009, par rapport à l'année précédente.

Si le conseiller est dans le tort, l'OSBI peut recommander une indemnisation allant jusqu'à 350 000$. La recommandation n'est pas exécutoire. Mais si la firme refuse de la suivre, l'OSBI a le pouvoir de publier son nom dans les journaux, ternissant du coup sa réputation.

Par contre, si l'investisseur est insatisfait de la décision, il peut continuer la bataille devant les tribunaux. Deux poids, deux mesures. Mais ce n'est pas ce qui agace le plus l'industrie.

Les courtiers en ont surtout contre la méthode de calcul des pertes que l'OSBI utilise lorsqu'un conseiller a fait des placements qui ne convenaient pas au profil de son client. L'OSBI calcule l'indemnisation non seulement en fonction de la perte subie par le client, mais il calcule aussi le «coût d'opportunité», c'est-à-dire le rendement et le montant que l'investisseur aurait pu réaliser si le conseiller avait fait des placements convenables. Cela laisse place à l'interprétation... et à la bisbille.

Pour mieux s'entendre avec l'industrie, l'OSBI a lancé une consultation sur sa méthode de calcul des pertes, à la fin de mai.

Pris en sandwich

Mais l'OSBI marche sur des oeufs. L'organisme est financé par l'industrie qui s'était hâtée de le mettre sur pied, alors que le gouvernement fédéral menaçait de créer un ombudsman étatique.

Aux yeux du public, cela peut donner la perception que l'OSBI n'est pas complètement indépendant. Ces dernières années, les régulateurs ont d'ailleurs forcé l'OSBI à améliorer ses principes de gouvernance, en nommant plus de membres indépendants à son conseil d'administration.

L'OSBI doit être au-dessus de tout soupçon. Il doit régler les dossiers de manière rapide, efficace, équitable et transparente. Mais il n'est pas un régulateur. S'il pousse un peu plus loin, en formulant des recommandations plus larges par exemple, l'industrie grince des dents.

«L'OSBI se retrouve dans une situation sandwich qui peut être inconfortable, avoue Mme Poitras. Mais je reste convaincue que c'est un organisme utile et qu'il faut que des organismes comme ceux-là soient beaucoup mieux connus du public. Et l'industrie devrait mieux travailler avec ces organismes-là, justement pour mieux aider le consommateur.»

Vaudrait-il mieux un service gouvernemental, comme en Angleterre par exemple? Il y a du pour et du contre, répond Mme Poitras qui a visité le Financial Ombudsman Service. «Ils gèrent un nombre effarant de plaintes, dit-elle. C'est une superstructure! C'est coûteux et ça peut prendre des proportions incroyables.»

Un fardeau que le gouvernement n'a pas nécessairement envie de porter.