Chaque samedi, un financier différent répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Benoît Durocher, d'Addenda Capital... Trop de complaisance en Bourse? Stéphanie Grammond

Q: À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

Cette semaine a été marquée par le déclenchement de la saison des résultats trimestriels aux États-Unis. Le géant de l'aluminium Alcoa avait des résultats qui pouvaient être corrects, mais le marché a préféré les interpréter comme étant inférieurs aux attentes. De son côté, JP Morgan avait de bons résultats, mais la banque a hésité à augmenter son dividende. Le marché n'a pas vu ça comme une bonne nouvelle.

Les investisseurs restent prudents. Ils prennent reprennent leur souffle. Après deux ans de hausse, ils attendent de voir si la Bourse a toujours une erre d'aller. On se trouve à un point d'inflexion où le marché cherche à établir si ça se poursuivra ou non.

Si l'avenir s'annonçait radieux et sans nuages, la banque centrale aurait probablement augmenté son taux directeur, comme en Europe. Mais la Banque du Canada a plutôt signalé, cette semaine, qu'il restait des nuages au-dessus de l'économie canadienne malgré sa bonne tenue.

Ça peut être interprété de deux manières: ça peut signifier qu'il n'y a pas de pression inflationniste à l'horizon et que les taux d'intérêt vont rester bas. Mais ça peut aussi vouloir dire que l'économie, en dépit de signes de redressement, a toujours besoin d'une béquille. Aux États-Unis, la béquille prend la forme d'un assouplissement quantitatif qui doit prendre fin en juin prochain. Ce sera un test autre test pour les marchés.

Q: Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment?

On garde un regard insistant sur le marché du travail. Malgré un petit recul en mars, le Canada a récupéré tous les emplois perdus depuis le creux de 2008.

Mais, aux États-Unis, la reprise reste très lente et très graduelle. On est encore bien loin d'être retourné au sommet d'avant la récession. Même si l'emploi est un indicateur retardé, ce n'est pas encore clair que l'économie réelle s'en sort.

Le taux de chômage a baissé aux États-Unis, mais surtout en raison d'une baisse du taux d'activité de la main-d'oeuvre, c'est-à-dire d'une diminution de la proportion des gens qui travaillent ou cherchent un emploi par rapport à l'ensemble de la population en âge de travailler. Si le taux de chômage diminue parce qu'il y a moins de gens sur le marché du travail, ce n'est pas un signe de dynamisme. En général, les salaires ne vont pas monter en flèche...

Q: Que feriez-vous avec 10 000$ à investir?

Je ne prendrais pas trop de risques étant donné le point d'incertitude où on se trouve. J'irais plutôt vers les actions de grandes sociétés canadiennes solides qui versent des dividendes élevés et en croissance, dans les secteurs classiques: sociétés financières, services publics, etc.

Q: Quel placement évitez-vous à tout prix?

J'éviterais les titres qui ont profité d'attentes passées très positives et qui viennent de subir un choc. Je pense aux sociétés du secteur de l'uranium. Avant le tremblement de terre au Japon, on avait bon espoir que l'énergie nucléaire deviendrait l'énergie de choix pour plusieurs pays. Ça l'est encore. Mais ce qui s'est produit au Japon vient de remettre en question l'avenir très prometteur qui se dessinait. L'accident a soulevé beaucoup de questions.

Q: Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus présentement?

Pour l'instant, les tensions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord semblent se résorber. Mais je ne suis pas convaincu qu'il n'y aura pas d'autres répercussions qui pourraient faire monter le prix du pétrole. Des phénomènes géopolitiques comme ceux-là, on ne sait pas comment ça peut évoluer. Tout a commencé de façon très anodine en Tunisie, et puis ça eu des répercussions importantes par la suite.

Pour l'instant, on se dit que ça va se régler. Les marchés sont assez complaisants: la crise au Moyen-Orient et le cataclysme au Japon ont provoqué un relèvement de la volatilité à Bourse. Mais pas trop, comme en témoigne l'indice VIX qui a déjà grimpé beaucoup plus haut lors d'autres chocs. Il faut se méfier des eaux qui dorment.