Chaque samedi, un financier différent répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Alain Bokobza, 
de la Société Générale...

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

Aux États-Unis, les chiffres récents démontrent une poursuite de l'amélioration du marché de l'emploi. Le taux de chômage a baissé de 0,1%. Ce n'est pas très rapide. À ce rythme, il faudrait trois ans et demi pour revenir au taux de chômage d'avant la crise. Mais ça fait plus de 12 mois que le chômage baisse, ce qui prend les pessimistes à contre-pied.

Si la conjoncture économique reste convenable, il devient presque certain que la Réserve fédérale américaine va arrêter sa détente quantitative. L'arrêt d'injection de capitaux excessifs (600 milliards de dollars pour la deuxième phase de détente) aura des répercussions sur la devise et les obligations.

Cela pourrait freiner la baisse fondamentale du dollar américain que tout le monde attend. Et cela pourrait provoquer de la volatilité sur les obligations d'État américaines : les taux des obligations 10 ans pourraient osciller dans une fourchette assez large (3,3 à 3,9%) d'ici juin.

Quel indicateur suivez-vous 
le plus attentivement en ce moment?

Premièrement, je regarde l'évolution des tensions géopolitiques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Et deuxièmement, je surveille le monde émergent où l'inflation devient franchement inquiétante. Le monde émergent est très sensible aux prix alimentaires qui représentent 38% du panier des ménages, par rapport à 10 à 15% dans les pays développés.

Pour contenir l'inflation, les autorités utilisent des outils non traditionnels qui sont relativement peu efficaces. Il y a présentement des erreurs de politiques économiques qui sont en train d'être commises dans les pays émergents. Par exemple, l'économie chinoise avait une vitesse de croisière de 8 à 10% par année, ce qui a provoqué de l'inflation sur les salaires. Mais les dirigeants ont laissé filer la croissance économique au détriment de l'inflation. Et maintenant, la hausse des prix alimentaires accentue les pressions inflationnistes.

Que feriez-vous avec 
10 000$ à investir?

Sur un horizon de trois ans, je prendrais des actifs liés à l'inflation. Dès qu'un pays a des problèmes, on les monétise. Les États-Unis l'ont fait, l'Angleterre, la zone euro, le Japon... Aujourd'hui on imprime de la monnaie, demain il y aura de l'inflation. Acheter des produits qui sont sensibles à l'évolution de l'inflation devrait être payant dans un portefeuille. Il existe des obligations indexées à l'inflation. On parle d'obligations d'État: ce n'est pas très risqué. Mais il faut choisir des pays solides comme le Canada ou l'Angleterre.

Quel placement 
évitez-vous à tout prix?

Les métaux industriels comme le cuivre. L'économie manufacturière a connu une récupération exceptionnellement forte. En ce moment, toutes les nouvelles sont bonnes et tout est interprété favorablement... comme tout était interprété de façon catastrophique à la fin 2008. On doit prendre à contre-pied ces grands mouvements moutonniers.

Toutes les grandes économies vont ralentir au cours des prochains trimestres. Donc, c'est le moment de faire attention aux métaux de base. Ce n'est pas très bon pour le dollar canadien et la Bourse canadienne qui sera quand même soutenue par le cycle des fusions et acquisitions.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment 
le plus présentement?

Les problèmes dans le monde émergent, particulièrement en Chine. On parle de croissance mondiale à deux vitesses : forte dans les pays émergents, faible dans les pays développés. La dernière fois qu'on a parlé d'économie à deux vitesses, c'était à la fin des années 90 (ndrl: avant l'éclatement de la bulle des technos): il y avait la nouvelle économie, et la vieille économie. Je déteste ce genre d'approche.

Il n'y a qu'une seule économie dans le monde, avec des cycles en faveur des uns et des autres. Je pense que les anticipations longues de croissance sans problème dans le monde émergent sont un leurre. Leur combat contre l'inflation va provoquer un ralentissement économique bien plus important qu'on ne le pense. Il va provoquer temporairement des accidents sur les marchés d'actions dans les marchés émergents.

Alain Bokobza est stratégiste et directeur de l'allocation d'actifs globale de la Société Générale, deuxième banque de France. L'institution a ses racines depuis 1974 à Montréal où se trouve son siège social canadien.