Robert et Gisèle sont tous deux âgés de plus de 75 ans.



«Nous avons une fille unique qui sera naturellement notre héritière, dit Robert. Elle demeure en France et a trois enfants en bas âge.»

Geneviève ne reviendra pas vivre au Canada avant que le plus jeune de ses enfants ait 18 ans, soit dans une quinzaine d'années.

«À cause de nos états de santé et notre âge avancé, les chances (si on peut dire) sont que notre fille héritera de nos biens avant son retour probable au pays, poursuit Robert. Les taxes successorales sont très élevées en France, mais inexistantes au Canada. Pour éviter cette imposition onéreuse française, nous recherchons une solution pratique qui éviterait de donner inutilement ainsi une somme d'argent importante et non récupérable en cas de retour au Canada.»

Ils ont songé à une fiducie testamentaire, mais les frais d'administration, très élevés sur une longue période, les font hésiter. La somme en jeu le justifie-t-il?

Comment éviter la double imposition?

Un cas de fiducie

Au contraire de la France, il n'y a pas d'impôt spécifique sur les successions au Canada. Ici, par contre, le défunt est présumé disposer de l'ensemble de ses biens au moment de son décès, et les impôts applicables (sur le gain en capital, par exemple) sont alors exigés.

À combien s'élèveraient-ils?

Robert et Gisèle se lèguent d'abord mutuellement tous leurs biens - sans impact fiscal donc - et ce n'est qu'au second décès que le fisc aura un mot à dire. Les fonds enregistrés de revenus de retraite (FERR) du couple s'élèvent à 1 250 000$, leurs épargnes non enregistrées à 850 000$, et ils possèdent enfin un duplex valant 700 000$.

Selon l'évaluation de la notaire et planificatrice financière Guylaine Lafleur, de Bachand Lafleur Preston Groupe conseil, les impôts totaliseraient environ 700 000$, laissant un héritage de 2 000 000$.

«Il s'agit d'un patrimoine successoral significatif», commente-t-elle. C'est le moins qu'on puisse dire. Mais nous nous intéressons ici au principe.

Selon les recherches de notre conseillère, un legs en pleine propriété à Geneviève, résidente en France, entraînerait dans ce pays des impôts successoraux à un taux progressif qui s'élève jusqu'à 40%.

De même, toute somme que lui verserait la fiducie testamentaire pendant son séjour en France serait imposée de la même façon.

«Dans les successions où les règles fiscales et légales d'autres pays entrent en jeu, il est important de consulter des fiscalistes spécialisés en ce domaine, ce qui devrait être fait dans le présent cas», avise au passage la notaire.

Rappelons le principe de la fiducie testamentaire. L'auteur du testament crée un patrimoine distinct - la fiducie -, dont il confie la gestion à des fiduciaires. Ceux-ci distribueront ces biens en temps et selon les modalités voulus au testament.

La fiducie testamentaire peut avoir pour objectif de fractionner les revenus pour réduire l'impôt, ou encore d'exercer un contrôle sur ces biens, par exemple parce que les héritiers sont encore trop jeunes pour les gérer raisonnablement.

Une fiducie testamentaire créée au bénéfice de Geneviève, qui reporterait son héritage à son retour au Canada, permettrait donc d'éviter l'impôt français sur les successions.

Une fiducie testamentaire entraîne généralement des frais d'administration importants - c'est le principal inconvénient de cette formule.

Une société qui agit comme fiduciaire pourra être rémunérée selon un pourcentage des biens gérés - 1% ou 1,5% de leur valeur chaque année, par exemple. Un notaire, un comptable ou un avocat facturera plutôt des honoraires.

«Il est toujours possible de choisir un membre de la famille qui possède les qualités requises afin d'agir à ce titre», souligne notre planificatrice. Il faudra tout de même prévoir une rémunération pour les nombreuses heures qu'il y consacrera.

En fait, Robert et Gisèle ont pleine confiance en Geneviève et désirent qu'elle soit à la fois liquidatrice et fiduciaire de la succession. Ici se dresse un obstacle. «Une succession sera considérée non résidente au Canada si une majorité des liquidateurs nommés sont non résidents», indique Guylaine Lafleur. Des impôts canadiens spécifiques aux cas de non-résidence pourraient alors s'appliquer à la succession. Pour éviter cet inconvénient, Robert et Gisèle devront donc nommer, en sus de leur fille, deux liquidateurs habitant au Canada.

Les mêmes contraintes s'appliquent à la fiducie: il faudra donc adjoindre à Geneviève au moins deux autres fiduciaires - compétents! - qui habitent au Canada et qui participent activement au contrôle de la fiducie.

Notre notaire rappelle que, si Geneviève vivait au Canada, elle ne pourrait pas être à la fois bénéficiaire et seule fiduciaire de la fiducie testamentaire. Le Code civil exige qu'au moins une autre personne non bénéficiaire soit également au rang des fiduciaires. «Par contre, conclut Me Lafleur, les parents pourraient prévoir dans leur testament que leur fille choisira elle-même son cofiduciaire».