«J'ai 69 ans, suis autonome et en forme», assure Jeannine. Mais pour la première fois de sa vie, un déménagement la rebute. Pour un loyer de 850$, elle loue un condo depuis cinq ans et demi, dans un immeuble de 80 appartements en bordure de rivière.

«Il y a quelques mois, les proprios se sont informés si j'étais intéressée à acheter», explique-t-elle.

Elle aime l'appartement et serait prête à l'acquérir pour éviter d'avoir à déménager. Mais en a-t-elle les moyens?

Jeannine estime le prix d'achat à environ 180 000$. Elle retirerait 36 000$ de ses REER en vertu du Régime d'accès à la propriété (RAP), pour un emprunt hypothécaire de 144 000$. Selon les termes de son institution financière, un prêt à taux fixe de 3,89% pour cinq ans, amorti sur 35 ans, produirait une mensualité de 625$.

Jeannine affirme toucher des revenus de rentes de retraite de 32 000$, plus 750$ en remboursements de TPS et TVQ, pour un revenu net de 31 110$.

Elle annonce 63 600$ en REER, 8000$ en CELI et 51 400$ en épargnes non enregistrées.

«Quel est le prix maximum que je peux respecter avec mes revenus et épargnes?» demande-t-elle.

De fausses rentes

Jeannine se réjouit des bas taux d'intérêt actuels, mais ils ne resteront pas à ce niveau pendant 35 ans, fait valoir le planificateur financier Daniel Laverdière, expert-conseil chez Banque Nationale Gestion privée 1859.

«Il est bon de valider si le budget est capable d'absorber une hausse de deux points de pourcentage», lui a-t-il exprimé. Avec un taux de 5,89%, la mensualité atteindrait plutôt 803$, soit 9636$ par année. Mais le planificateur s'inquiète aussi de ce qu'avec un amortissement sur 35 ans, «l'élastique a été étiré au maximum».

Un second point est un peu plus inquiétant. Jeannine affirme toucher des revenus de rentes de retraite de 32 000$. Mais quand Daniel Laverdière a décortiqué ces revenus, il s'est aperçu qu'à peine 19 400$ provenaient de véritables rentes, soit la RRQ et la PSV, plus 4000$ en provenance de son régime de retraite de la fonction publique. Jeannine y ajoutait les 8580$ de pension qu'elle touche de son ex-conjoint. Or rien n'assure que cette pension sera versée jusqu'à la fin de ses jours - son conjoint peut mourir n'importe quand!

Jeannine incluait aussi dans ses revenus de rentes les 3700$ qu'elle reçoit chaque année d'un fonds équilibré à revenu mensuel de série T8. «Il ne faut pas confondre les fonds de série T avec une vraie rente, prévient Daniel Laverdière. S'ils ne font pas suffisamment de rendement, ils distribuent le capital et il y a un danger d'épuisement.»

Bref, «sa vraie réalité est peut-être très éloignée des 31 000$», observe-t-il.

Il en a refait le portrait.

Jeannine assure maintenir présentement un coût de vie de 22 650$, loyer inclus. Son loyer de 850$ par mois accapare 10 200$ de son budget annuel, soit une importante proportion de 45%.

Le planificateur a placé l'horizon de vie de Jeannine à 96 ans, au moment où elle n'aura plus que 20% de probabilités d'être en vie.

Plutôt que d'utiliser le RAP pour constituer la mise de fonds de 36 000$, il retire plutôt cette somme des placements non enregistrés de Jeannine, qui produisent des revenus taxables.

«Le RAP est une possibilité, en effet, mais en général, il sert aux gens qui n'ont pas d'autres épargnes non enregistrées», explique Daniel Laverdière.

Des 51 000$ en placements non enregistrés, il ne reste donc que 15 400$, sur lesquels le planificateur applique un rendement de 3,25%, comme à l'ensemble des épargnes de Jeannine.

Par conséquent, la «rente» de 3700$ que Jeannine ajoutait à ses revenus hypothétiques disparaît. Le planificateur conserve toutefois la pension versée par l'ex-conjoint, pour un revenu brut d'environ 28 000$ en 2011.

«Si la pension de son ex-conjoint venait à disparaître, peut-être devra-t-elle songer à vendre sa maison, constate-t-il. Mais ce n'est pas l'idéal, c'est certain.»

Daniel Laverdière a retenu des frais hypothécaires de 9636$ par année (il ajoute 2% au taux d'intérêt négocié par Jeannine), qu'il maintient sur les 35 ans que dure l'amortissement.

Aux autres dépenses, il applique un ajustement au coût de la vie de 2,25%. Son calcul: à combien peuvent s'élever ces autres dépenses indexées, de telle sorte que les épargnes de Jeannine l'amènent jusqu'à son 96e anniversaire? La réponse: 18 000$, en dollars actuels.

Dans ces 18 000$, Jeannine devra toutefois inclure toutes ses dépenses hormis l'hypothèque, y compris et surtout celles qui n'apparaissent pas à son budget actuel, tels les impôts fonciers et les charges de copropriété. Ceux-ci, selon les informations fournies par les propriétaires du condo, totalisent actuellement 4600$ par année. Si son coût de vie actuel, avant loyer, est réellement de 12 450$, elle peut y arriver, mais tout juste.

Elle doit s'en assurer avant de foncer.