Depuis son creux de 2009, la Bourse canadienne a pratiquement doublé. Malgré les pressions inflationnistes et les tensions dans le monde arabe, l'indice S&P/TSX de la Bourse de Toronto est revenu tout près de son sommet historique. Après des gains de presque 100% en moins de 24 mois, les investisseurs peuvent-ils encore rêver? Trois stratèges boursiers pèsent le pour et le contre...

Quatre facteurs qui alimentent la remontée boursière

1. La Bourse reste bon marché

Malgré la remontée fulgurante, la Bourse n'est pas chère. «Depuis un an, une bonne partie de la croissance de la Bourse n'a fait que refléter la hausse des bénéfices des sociétés», dit Stéfane Marion, économiste et stratège en chef à la Financière Banque Nationale.

En Amérique du Nord et en Asie, les actions se négocient à 13 fois les bénéfices des 12 mois à venir. C'est assez faible. Historiquement, les ratios se situent autour de 15 fois les bénéfices, lors de périodes de reprise économique comparables depuis les années 20, estime Pierre Lapointe, stratège Global Macro chez Brockhouse Cooper.

Et si les profits ne sont pas au rendez-vous? «Le consensus des analystes n'est pas toujours un bon repère, car les analystes ont l'habitude de surestimer les profits. Mais, depuis quelques mois, c'est l'inverse, dit M. Lapointe. On est à l'aise avec leurs prévisions.»

2.Les patrons ont le sourire aux lèvres

Les patrons ont un poste d'observation privilégié. Présentement, ils voient très peu de nuages à l'horizon. Ils sont beaucoup plus optimistes qu'à l'ordinaire. «Ils ont fait très peu de mises en garde aux investisseurs», indique M. Lapointe. Depuis trois mois, à peine 358 sociétés américaines ont prévenu les investisseurs que leurs bénéfices seraient plus faibles que prévu, alors qu'on dénombre facilement 800 profit warning par période de trois mois, normalement. En fait, les mises en garde sont à leur plus bas niveau depuis 10 ans.

3. Les consommateurs américains respirent

Désendettement, création d'emplois, stabilisation de l'immobilier... Il y a de la lumière au bout du tunnel pour le consommateur américain.

Les ménages ont réduit leurs dettes. Les banques sont de plus en plus enclines à prêter. Le cycle du crédit qui s'était figé est en train de reprendre, ce qui va soutenir la reprise.

Aussi, l'immobilier se ressaisit. Ceux qui redoutaient une chute additionnelle de 10 à 15% respirent mieux. «Les stocks de maisons à vendre se sont stabilisés, ce qui nous fait dire qu'il n'y aura pas de pression à la baisse sur les prix des maisons», dit M. Lapointe.

Doucement, les pièces se mettent en place. «Je m'attends à ce que les prochains mois confirment la reprise de la demande intérieure aux États-Unis. On va entrer dans une phase d'embauche», assure M. Marion. La création d'emplois devrait permettre à l'économie américaine de passer de la reprise à l'expansion.

4. Les capitaux coulent à flot

Les investisseurs plongent. Les vendeurs se couvrent. Les sociétés rachètent. Bref, l'argent coule à flot à la Bourse.

Aux États-Unis, les détenteurs de fonds communs recommencent à investir dans les actions qu'ils avaient délaissées au profit des obligations après la crise du crédit. «Cela explique en grande partie pourquoi la Bourse est si résiliente», estime Vincent Delisle, stratège chez Scotia Capitaux.

À son avis, l'augmentation des rachats d'actions par les entreprises a aussi soutenu les marchés. En 2010, les rachats d'actions par les 500 plus grandes sociétés américaines ont bondi de 174%.

Les vendeurs à découvert ont aussi alimenté la remontée: les pessimistes qui misaient sur la baisse de la Bourse ont dû couvrir leur position en rachetant les titres pour limiter leurs pertes. Et la vague n'est pas terminée. «Il reste moins de vendeurs à découvert, mais le volume est plus faible. Le nombre de jours requis pour renverser une position est à peu près le même qu'il y a un an ou deux», explique M. Lapointe.

L'excès de liquidités peut-il noyer le marché? «Pour être franc, les actions semblent surachetées depuis des semaines», admet M. Delisle. La prochaine étape pourrait être une saine correction... mais rien n'est moins sûr, car les flux de capitaux vers les actions devraient se poursuivre encore un peu.

Quatre facteurs qui risquent de faire déraper la Bourse

1. L'inflation «made in China»

Depuis un an, la Chine essaie de ralentir son économie par tous les moyens. Les dirigeants ont voulu ramener l'immobilier sur terre. «À ce compte-là, ils ont assez bien réussi», note M. Lapointe. Ceci dit, il y a encore des pressions inflationnistes dans l'alimentation.» Le taux d'inflation reste près de 5%, alors que la Chine aimerait que le taux reste entre 1 et 3%. Il faut donc s'attendre à d'autres mesures. «Pour l'instant, les mesures de refroidissement n'ont pas eu d'impact sur l'économie... mais il y a un risque», dit M. Lapointe. C'est à surveiller de très près, car les Chinois sont de très gros consommateurs de ressources naturelles.

Et c'est encore plus vrai depuis la fin de la récession. Par exemple, la Chine consomme 37% du cuivre de la planète, par rapport à moins de 30% avant la récession.

2. Les bouleversements dans le monde arabe

La Tunisie. L'Égypte. La Libye cette semaine. Difficile de prévoir la suite. Chose certaine, la Bourse devra composer avec la géopolitique dans le monde arabe.

Prudence avec les multinationales qui tirent plus de 10% de leurs revenus du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Par exemple, M. Lapointe pointe des sociétés industrielles comme la Suisse ABB, la Suédoise Sandvik, ou encore des fabricants de produits de consommation comme Avon et British Americain Tobacco.

Investir dans le secteur de l'énergie reste la meilleure façon de protéger son portefeuille contre les tensions géopolitiques, encore plus que l'or, selon M. Lapointe. Mais attention! Il faut prendre garde aux sociétés dont une large part de la production provient des zones à risque: Total, Tullow Oil, ENI SpA, BP, Occidental Petroleum, Hess, etc.

Considéré comme une zone d'approvisionnement sûre, le Canada est favorisé. «La Bourse canadienne est plus défensive dans le contexte actuel, de par sa forte teneur en titres énergétiques et aurifères», note M. Marion.

Ce n'est pas le temps de vendre ses actions canadiennes.

3. Le pétrole au-dessus de 100$US

Le pétrole 100$US ne fait pas trop frémir les stratèges. Un tel prix reflète simplement la croissance du PIB de 4% et le fait l'économie mondiale est déjà au-dessus de son niveau d'avant la récession, selon M. Marion.

«Ce qu'on n'aime pas, c'est la vitesse à laquelle le prix monte ces jours-ci. C'est difficile de s'adapter», dit-il. Une montée en flèche du pétrole attiserait l'inflation dans les pays émergents en particulier, en Chine plus précisément.

Déjà, les pays émergents ont dû mal à juguler l'inflation, sans freiner leur économie. Le pétrole trop haut, trop vite, pourrait leur donner encore plus de fils à retordre. «Au début de l'année, on a réduit notre pondération dans les pays émergents, dit M. Marion. Et on n'en rajouterait pas tout de suite».

4. La dette en Europe... et aux États-Unis

«On en a parlé moins en 2011, mais les problèmes en Europe sont loin d'être réglés», dit M. Lapointe. Pas plus que l'impasse budgétaire aux États-Unis...

«Dans un contexte de reprise économique, on a l'impression que la situation s'améliore. Mais à moyen terme, les Américains doivent s'attaquer au problème structurel des finances publiques», insiste M. Marion.

Inévitablement, cela devra passer par une hausse de taxe... une mesure qui ne fera pas le bonheur du Tea Party. Si Washington reste dans l'impasse, les investisseurs pourraient perdre confiance face aux finances publiques américaines, ce qui entraînerait des bouleversements sur les marchés financiers. «C'est certainement une raison d'être prudent à moyen terme, dit M. Marion. Il ne pas trop ambitionner sur l'expansion des multiples cours-bénéfices.»