ADN de Hublot? Vous allez comprendre. Mais il faut d'abord savoir que Philippe-Albert Lefebvre est un jeune designer industriel québécois installé en Suisse depuis un an et demi.

Après ses études à l'École de design industriel de l'Université de Montréal, terminées en 2009, il s'est inscrit au Master en design et industrie du luxe à la réputée École cantonale d'art de Lausanne (ECAL).

Dans le cadre de ce programme de maîtrise à vocation concrète, concentré en 10 mois, des projets sont entrepris en étroite collaboration avec des industries helvétiques de pointe, comme l'horlogère Hublot (nous y voilà!). En 2008, un étudiant suisse de l'ECAL avait ainsi conçu une luge dans l'esprit «Hublot».

«M. Biver, PDG de Hublot, a vu la luge et s'est dit que c'était une bonne idée parce que Hublot est sponsor d'événements de ski, mais il n'était pas convaincu du travail, narre Philippe-Albert Lefebvre. Il a tout fallu refaire à zéro.»

Le mandat donné au designer québécois: «Concevoir une luge pour Hublot qui comporte l'ADN de la marque.»

Cette métaphore biochimique est devenue courante. Autrefois, on aurait parlé d'essence. Ou d'âme. Celle de Hublot s'exprime dans la fusion des matériaux: ses montres combinent le titane et la céramique, le caoutchouc et le carbone.

Philippe-Albert Lefebvre a travaillé avec le fabricant de luges de compétition Graf pour concevoir une luge qui allie quatre matériaux aussi dissemblables que possible.

Ses patins en frêne naturel, cintrés à la vapeur et garnis de carres en acier fondu, s'opposent aux arceaux en fibres de carbone brutes de moulage. Ses traverses de section carrée, qui montrent le tressage de la fibre, tendent une assise en cuir piqué à la main.

Selon le site suisse 20 minutes Online, le président de Hublot, Jean-Claude Biver, a déclaré, au cours de la présentation de la luge, le 2 février dernier, qu'elle «est tellement belle que sa place n'est pas forcément sur des pistes enneigées, mais peut être exposée comme un objet d'art dans son salon». Il faut bien sûr être prêt à débourser les 7300$ exigés pour un des 10 exemplaires de la série.

Le luxe dégage, aux yeux et narines de certains designers, une odeur de soufre et un vague parfum de décadence. «Le luxe n'est pas un terme qui m'embête, au contraire, peu importe sa connotation, rétorque le designer de 24 ans. C'est souvent l'occasion de travailler avec des artisans qui s'y connaissent à fond dans leur métier.»

C'est la piste que la luge Hublot lui a permis d'emprunter.

«Toutes les pièces ont été fabriquées par des artisans de très haut niveau, déclare-t-il. Les pièces en fibres de carbone ont été faites ici à Lausanne par un fabricant de pièces de Formule 1. L'assise en cuir a été faite par un sellier et un designer de chaussures qui ont travaillé chez Hermès pendant des années à Paris.»

Photo fournie par Reuge

Un exercice au profit du fabricant suisse de boîtes à musique Reuge. Pour donner un autre attrait à un mécanisme d'une utilité limité, le designer l'a inséré dans un plateau à motifs tridimensionnels de fruits.

Ses études terminées, Philippe-Albert Lefebvre a été engagé par l'ECAL comme chargé des projets spéciaux. Toujours à l'intention de Hublot, il a proposé un concept d'ensemble de couteaux de cuisine, dans ce même objectif de «transposer leur ADN dans des produits connexes».

Les couteaux sont déposés dans un bloc aimanté qui les maintient dans leur logement même lors d'un transport. Magnifique détail, l'acier des lames, qui se prolonge de part en part des poignées, affleure à la surface du bloc noir comme des coulées de mercure.

«C'est une étude sur la préhension des chefs, décrit le designer. Pour couper les légumes, ils pincent l'arrière de la lame entre l'index et le pouce parce que ça demande un peu moins d'effort.» Il a donc prolongé les recouvrements latéraux du manche en deux minces projections sur la lame, texturées pour faciliter leur prise.

Il est toujours intéressant de voir émerger un jeune talent. On n'a pas le luxe de s'en priver.

 

Photo fournie par Hublot

Autre concept à l'intention de Hublot, toujours avec injection de leur ADN: un bloc aimanté de couteaux de cuisine, dont l'arête des lames affleure à la surface. Les recouvrements des manches sont en titane.