Une troupe de bambins de 3 ans est arrivée en même temps que moi chez Mega Brands, dans l'arrondissement de Saint-Laurent. À la réception, ils sont déjà accueillis par un Spiderman grandeur nature, fabriqué en briques Mega Bloks. Joues rouges, yeux brillants: pour eux, entrer dans cette usine de jouets est l'équivalent de visiter l'atelier du père Noël.

En mieux, peut-être. Ils vont pouvoir toucher et jouer, sans crainte de noircir leur dossier d'enfant sage.

Car au centre de l'immense salle où travaillent les designers de l'entreprise, un espace de jeu leur est réservé. Les plus récents jouets préscolaires sont étalés à leur intention. Sur une table s'alignent une douzaine de petits casques de construction jaunes, portant le prénom de chacun. Le bonheur, version plastique.

Au détour d'une allée, par-dessus une cloison, quelques discrets designers jettent des coups d'oeil furtifs. Ils peuvent ainsi recueillir des informations de première main - de toutes petites mains - sur l'utilisation de leurs créations.

Le siège social de Mega Brands à Montréal compte environ 150 créateurs de tout acabit - designers industriels et graphiques, illustrateurs 3D, maquettistes... Pour les attirer, Mega Brands a tenu, le 2 décembre dernier, une journée portes ouvertes pour les futurs designers industriels, graphistes, designers web et autres artistes 3D. «Il faut rester à l'affût de nouveaux talents», fait valoir Christian Lemire, directeur du design pour les garçons de 5 ans et plus.

Leur rythme de création est infernal, et ce n'est pas parce que Noël approche.

«On travaille pour Noël de l'année prochaine», indique Christian Lemire. Les produits dont ils achèvent présentement la conception devront être sur les tablettes en juillet prochain.

La seule catégorie des garçons de 5 ans et plus comporte sept différentes collections, pour chacune desquelles de 10 à 12 nouveaux articles sont lancés chaque année.

En une quinzaine de semaines, une nouvelle idée esquissée sommairement par l'équipe de design prospectif franchira toutes les étapes de création. Les croquis de personnages et d'accessoires sont transformés en illustrations 3D, puis en dessins de pièces. Les appareils de prototypage rapide - ces espèces d'imprimantes en trois dimensions - fonctionnent sans discontinuer, 24 heures sur 24. Au terme de cette course, le fichier numérique de chacune des minuscules pièces sera transmis au fabricant de moules d'injection. Il faudra 15 autres semaines pour que la production démarre.

Construction en cours...

Il y a 25 ans cette année, Mega Brands lançait ses premières briques grand format. Les jeux de construction ont bien changé depuis lors.

Des ensembles de base sont toujours offerts. La collection Blok Squad offre toujours des ensembles de véhicules et d'immeubles dans la grande tradition.

Mais désormais, pour attirer les enfants, il faut s'attacher aux locomotives que sont les grandes franchises du jeu vidéo (Halo), de la télévision (Dora l'exploratrice ou Thomas le train) ou de la bande dessinée (Marvel).

Ce qui n'empêche pas la division Mega Bloks de créer ses propres collections, comme Dragons, un univers futuriste où les humains affrontent des dragons guerriers. Pour enfants de 6 ans et plus...

On est loin des gentils camions de pompier assemblés brique par brique, mais on doit se faire une raison, semble-t-il.

«Les enfants passent tellement de temps devant un écran! observe Christian Lemire. Il faut être capable de les arrêter et les attirer vers un jeu peut-être plus traditionnel, mais avec un côté excitant. Il faut que ça bouge. On ne peut pas rester dans le dogme du bloc de construction éducatif. On peut être éducatif, mais il faut avoir du plaisir.»

Le temps des chérubins est compté. Les articles doivent se monter rapidement, avec un nombre limité de grandes pièces très spécialisées. De ce côté, la gamme Mega Bloks, avec des univers très expressionnistes, se distingue de plus en plus de Lego. «On a plus une approche dans le style du jeu vidéo, dans le fin détail», décrit Christian Lemire.

Il donne l'exemple des petites figurines de Halo, qui ont 12 points d'articulation, plutôt que la demi-douzaine des figurines génériques de Lego. «Le niveau de précision est dément», lance-t-il.

Pour concevoir les formes organiques les plus complexes, les designers, souvent des artistes formés en sculpture, utilisent le système FreeForm. Justement, un de ceux-là sculpte une aile dans une motte de glaise virtuelle, avec son stylet numérique accroché au bout de deux bras articulés. Chaque mouvement dans l'espace est reproduit sur la sculpture qui flotte à l'écran. La création est ainsi directement numérisée - des mois de travail sont gagnés sur l'ancienne méthode manuelle.

Tous ces raffinements attirent des enfants... de plus en plus vieux. Mega Brands propose des ensembles Halo pour collectionneurs, dont certains ont plus de 30 ans.

Rassurons-nous. À l'autre extrémité du spectre, pour les enfants d'âge préscolaire, les designers créent encore de sympathiques jeux de trains ou des bateaux pirates tout en rondeurs - pour lesquels Mega Brands remportent d'ailleurs des prix.

Christian Lemire jettera au passage un regard heureux sur les enfants casqués de neuf, plongés dans ces jeux. «C'est la clientèle la plus géniale à servir, dira-t-il. Quand ça marche, il n'y a rien de plus gratifiant pour un designer que de voir un grand sourire sur le visage d'un enfant.»

L'univers futuriste Dragons, pour enfants de 6 ans et plus.

...et la version finale, conçue sur un système de sculpture numérique 3D.