Chaque samedi, un financier différent répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Luc Fournier, de l'Industrielle-Alliance.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

Très clairement, ça été le comportement des obligations. Aux États-Unis, les obligations 10 ans sont passées de 3% à 3,23% en une semaine. Une hausse de 23 points de base, c'est énorme!

Il y a différents facteurs qui expliquent la remontée. D'abord, l'hémorragie a été contenue en Europe: l'Irlande et l'Espagne ont réussi à se financer. Et la demande était très bonne. Cela a fait perdre un peu de lustre aux obligations américaines, considérées comme un refuge sécuritaire. Un peu moins de demande sur les obligations a diminué la pression sur les taux.

Autre variable: le président Obama a décidé de prolonger pour deux ans les baisses d'impôt qui avaient été consenties pas le gouvernement Bush mais qui venaient à échéance en décembre 2010. Avec cette décision, on achète du temps. On donne la possibilité à l'économie américaine de reprendre un peu d'élan. Cela aussi enlève de la pression sur les taux.

Et puis, il faut dire que tout le monde a acheté des obligations en 2010: les particuliers, les banques, les fonds communs, les hedge funds. Mais on s'aperçoit depuis quelques semaines que le flot d'argent vers les obligations est moins important. Il y a moins d'acheteurs. Tout ça ensemble fait que les taux commencent à remonter.

Quel indicateur surveillez-vous le plus attentivement en ce moment?

Je dirais que le thème de 2011 sera de voir si toutes les mesures mises en place depuis la crise financière vont permettre à l'économie américaine de se ressaisir. Est-ce que la croissance économique a retrouvé son propre souffle, pour qu'elle puisse continuer sans respirateur artificiel? Pour le savoir, il faudra regarder les données économiques fondamentales, comme l'emploi ou encore les prêts aux consommateurs et aux entreprises.

Que feriez-vous avec 10 000$ à investir?

Comme j'ai un scénario macro-économique positif, je vais vers le secteur boursier des matières premières, autant les métaux de base comme le cuivre, que le pétrole qui n'a rien fait de bon et qui pourrait nous surprendre agréablement. La demande est bonne et il commence à y avoir des problèmes du côté de l'offre. Cela pourrait alimenter la hausse des prix des matières premières.

Quel placement évitez-vous à tout prix?

:Avec les taux d'intérêt qu'on a aujourd'hui, ce n'est pas avec des obligations qu'on peut réussir à bâtir un bon capital pour la retraite. Ni en restant en liquidités. Par défaut, il faut aller vers les actions.

Mais à l'intérieur des actions canadiennes, j'éviterais les services publics. Il y a eu un retour vers la sécurité du capital, ces dernières années. Les investisseurs n'ont pas investi à la Bourse par conviction. Les gens étaient à la recherche de sécurité. Ils ont visé les sociétés à dividendes élevés, ce qui a favorisé le secteur des services publics. Mais si les taux d'intérêt remontent, les titres à dividendes élevés vont perdre un peu... de leur intérêt.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus présentement?

Malgré la hausse des marchés boursiers, l'environnement demeure encore très négatif. Les observateurs voient des bulles partout, des problèmes partout. Les investisseurs se demandent sans arrêt quel sera le prochain pays européen en difficulté: l'Irlande, l'Espagne ou même la Belgique... et Dieu sait que lorsque ça se produit, cela fait mal aux marchés.

Mais si on est capable de mettre ça de côté, on pourrait assister à un retour du balancier vers les actions. Après tout, les marchés ne sont pas chers, les entreprises font des sous.

Si on peut avoir une fenêtre sans élément noir, les investisseurs pourraient revenir vers la Bourse... ou simplement arrêter de vendre des actions comme ils le font massivement depuis quelques temps.

Luc Fournier est gestionnaire d'actions canadiennes pour l'Industrielle Alliance, quatrième assureur en importance au pays. Avec plus de 25 ans d'expérience, il gère des actifs d'environ 700 millions selon une approche «valeur» qui mise sur les sociétés sous-évaluées.