Qui sont les meilleurs gestionnaires de placements en ville? Et surtout, quel est leur secret de leur succès? La Presse Affaires a demandé à une demi-douzaine de gestionnaires à valeur ajoutée comment ils sont parvenus à surpasser leur indice de référence... et la plupart de leurs pairs. Voici leur recette.

Quand on est en amour...

Premier commandement: Il ne faut jamais tomber en amour avec une société, rappelle Jean-Philippe Choquette, de Fiera Sceptre, qui gère avec son équipe deux milliards de dollars en actions canadiennes et en stratégies alternatives.

Il ne faut pas se laisser endormir par la performance exceptionnelle d'un titre dans le passé. «Parfois, les gestionnaires l'oublient», dit M. Choquette. Ils ont le titre en portefeuille depuis des années, ils ont rencontré les dirigeants à maintes reprises... Mais ils auront le coeur brisé si l'action craque!

Ne pas confondre la société et son action

«Une bonne société n'est pas nécessairement un bon investissement», poursuit M. Choquette. L'entreprise peut avoir un potentiel de croissance de 30%, si le marché s'attend à une hausse de 40%, les investisseurs seront déçus. Pour faire de l'argent, il faut tabler sur ce que l'action ne reflète pas déjà. «Il faut savoir quelque chose de plus que les autres investisseurs», dit M. Choquette.

Pour en savoir plus que les autres, il pose des questions aux dirigeants d'entreprises, pas seulement celles qu'il détient, mais aussi les concurrents, les fournisseurs qui peuvent donner un précieux son de cloche. Même s'il gère des actions canadiennes, M. Choquette était à Londres récemment pour rencontrer les Xstrata, BHP Billiton et autres poids lourds mondiaux, qui donnent le ton dans les ressources naturelles.

Difficile de se battre contre une industrie

«Une bonne industrie est supérieure à un bon dirigeant», enchaîne M. Choquette. Même avec la meilleure équipe de gestion qui soit, une société ne brillera pas en Bourse si elle évolue dans une industrie difficile. Prenez l'industrie forestière qui en arrache depuis une décennie. L'équipe de Domtar avait beau avoir tout le talent du monde, cela n'a pas empêché son titre de baisser depuis 10 ans.

Une aubaine peut le rester longtemps, et vice-versa

Avis aux chasseurs d'aubaines: un titre «cheap» va rester «cheap» tant qu'il n'y aura pas d'élément déclencheur, prévient M. Choquette. Un exemple: pendant une bonne partie des années 2000, l'action de Petro-Canada est été la plus belle aubaine du secteur de l'énergie. Il aura fallu attendre en 2009 que Teachers', un important investisseur institutionnel, lui donne un électrochoc pour que l'action explose, avec l'achat de Petro-Canada par Suncor Energy.

À l'inverse, les titres dispendieux peuvent le rester longtemps. «En 2006, l'action d'Apple était parmi les plus chères... et elle l'est encore aujourd'hui», pointe M. Choquette. Sauf que le titre a grimpé de 60$US à 300$US!

Une société ne vaut pas plus que ses profits futurs

Pour sélectionner les actions, Marc Gagnon se concentre sur un modèle d'actualisation des flux monétaires. «Je calcule la valeur de la compagnie en actualisant ses profits futurs», dit le gestionnaire d'actions canadiennes de l'Industrielle Alliance.

Cette approche lui a souvent permis d'identifier des titres très sous-évalués, comme Alliance Grain Trades, qui commercialise des légumineuses. Il a payé 8$ le titre qui a grimpé à 32$ en moins d'un an.

Mais son modèle est aussi utile quand vient le temps de vendre. Par exemple, M. Gagnon a senti la soupe chaude lorsque le titre de Shoppers Drug Mart a atteint 55-56$. Même en étirant ses hypothèses au maximum, le gestionnaire n'arrivait pas à justifier un prix supérieur à 54$. Il a vendu... et le titre est redescendu.

Plusieurs coups sûrs valent mieux qu'un coup de circuit

En favorisant une grande diversification, M. Gagnon réduit la volatilité du portefeuille... et les maux de ventre des investisseurs. «Je n'essaie pas de frapper des coups de circuits. J'essaie plutôt d'avoir une excellente moyenne au bâton», lance-t-il.

Même plan de match pour M. Choquette. «Je préfère prendre 40 décisions qui n'ont pas de relation entre-elles, plutôt que de deux ou trois gros paris sectoriels, dit-il. Ça m'évite d'être retiré après trois prises!»

Cela n'empêche pas les gestionnaires de faire des choix plus audacieux, à l'occasion. «Mais quand je swing pour la clôture, je m'assure que le poids du titre est très petit dans mon portefeuille», dit M. Gagnon. Par exemple, il a mis seulement 0,25% de son portefeuille dans DragonWave, un concepteur d'équipement de télécommunications, plein de potentiel, mais quand même risqué. Le titre payé environ 1$ aurait pu flancher à 50 cents... mais il a bondi à 6$, puis à 11,50$.

Placer des crans d'arrêt

Même les gestionnaires chevronnés peuvent se tromper. D'où l'importance de placer des crans d'arrêt dans son portefeuille, dit Jean-Sébastien Garant, vice-président chez Sigma Alpha Capital. La firme utilise une stratégie de répartition des actifs, à l'échelle mondiale, pour produire des rendements positifs dans tous les contextes, autant lorsque le marché monte que lorsqu'il baisse.

Mais quand il prend une position, le gestionnaire fixe un «stop lost» pour limiter les pertes si la situation tourne mal. Par exemple, s'il achète à 100$, il peut mettre un ordre de vente à 95$. Si le titre monte à 105$, l'ordre de vente s'ajustera à 100$. Cette mécanique évolutive permet de préserver les gains, mais surtout d'éviter les pertes désastreuses. «Quand on s'entête, dit M. Garant, on peut perdre sa chemise.»

Les vertus de la patience... et ses limites

Dans l'univers des actions canadiennes de petites sociétés, Christian Godin, de Montrusco Bolton, croit beaucoup aux vertus de la patience. Il investit dans des titres de grande qualité, pour cinq ans et plus.

Mais la patience a ses limites! Quand il le faut, il prend les grands moyens pour s'assurer que les intérêts de la direction sont alignés sur ceux des investisseurs minoritaires. Au début d'octobre, par exemple, il a entrepris des procédures, avec un investisseur américain, auprès de la firme lavaloise Technologies 20-20. Son message est clair: «OK, les boys! Je vous ai donné de l'argent. Vous avez été en Bourse. Ça fait six ans: l'action est à la moitié du prix d'émission, les profits sont en baisse et vos salaires ont monté. On envoie quelqu'un sur le CA». Instantanément, l'action a repris des couleurs...

Le signal de l'analyse technique

Si André Chabot a réussi à esquiver la crise boursière en 2008, c'est en bonne partie grâce à l'analyse technique, l'un des trois piliers de l'approche de gestion de Triasima, dont il est le président fondateur. «En août 2008, il y a eu un revirement lourd de nos indicateurs de tendance. On a vu le portrait se détériorer subitement», dit-il.

Sa recette? Un mélange de sept indicateurs d'analyse technique (ex: moyennes mobiles), dont deux que M. Chabot a optimisé lui-même, en planchant sur des études statistiques, dans les années 90. Ensemble, ces indicateurs ont une bonne valeur prédictive.

Quand le diable est aux vaches, le taureau n'est pas loin

Éviter l'hécatombe en 2008 n'était pas facile, mais réinvestir au bon moment en 2009 ne l'était guère plus. Tout était noir! Au début de mars, l'indice américain S&P500 avait chuté à 666 points: «Le chiffre de la bête! Comme quoi on s'est approché de l'enfer», blague M. Gagnon.

Alors que les marchés craignaient à nouveau que les banques américaines s'écroulent, M. Gagnon s'est dit: «Ce n'est pas possible qu'en menant des «stress test», le gouvernement américain va couler son propre système financier.»

Les gestionnaires comme M. Gagnon qui ont eu assez de cran pour réinvestir, s'en frottent aujourd'hui les mains. À partir de mars 2009, la Bourse a connu un spectaculaire «bull market». À la Bourse, quand le diable est aux vaches, le taureau n'est pas loin!

La psychologie est le pire ennemi de l'investisseur

À la Bourse, «la psychologie est notre pire ennemi», constate Richard Morin, de Landry Morin. Pour ne pas se laisser dérouter par les émotions, il faut éliminer l'élément humain, en étant purement quantitatif, et purement systématique.

On adopte des règles et on les applique, point final. Landry Morin applique une stratégie fondée sur le «momentum» qui permet de surfer sur les tendances en investissant dans les titres qui ont connu les meilleures performances des 12 derniers mois.

En 1999, le portefeuille qui était bourré de techno, a réalisé des gains incomparables. Évidemment, il a souffert quand la bulle a explosé... mais pas si longtemps, car le modèle mathématique a rapidement capté la tendance suivante.

Depuis 1996, Jean-Luc Landry qui avait développé cette méthode quantitative chez Montrusco, a surpassé la Bourse canadienne de 7% par an, après tous les frais.