Hélène se préoccupe de sa fille Sarah.

«Ma fille de 26 ans veut s'acheter une propriété, dit-elle. Elle demeure avec son ami depuis environ un an et demi, mais elle a décidé d'acheter seule.»

«Par contre, ajoute-t-elle, il fera probablement les travaux nécessaires à la propriété.»

Sarah gagne 35 000$ par année. Après avoir travaillé tout l'été, à raison de 15 à 20 heures par semaine, son ami Hugo, âgé de 28 ans, est retourné aux études en septembre. Au terme de son cours, en avril prochain, il devrait toucher un salaire de 27 000$.

Sarah se rendra sous peu chez le notaire pour conclure la transaction. Pour le duplex acheté 230 000$, elle versera une mise de fonds de 25 000$, dont 15 000$ proviendront de son REER.

«S'ils demeurent ensemble plusieurs années, peut-il en réclamer une part?» s'inquiète Hélène.

Les préoccupations de la maman

Si une séparation survenait, Hugo pourrait-il réclamer une part de la résidence?

La réponse de la notaire et planificatrice financière Guylaine Lafleur, de Bachand Lafleur Preston Groupe Conseil, est catégorique: s'ils demeurent conjoints de fait, non!

«Les dispositions relatives au patrimoine familial ou à la protection de la résidence familiale ne s'appliquent pas aux conjoints de fait», rappelle-t-elle.

Mais tout change dès qu'il y a mariage ou union civile.

La partie du duplex servant à l'usage de la famille ferait alors partie du patrimoine familial, et sa valeur serait donc partagée entre les deux conjoints en cas de dissolution de leur union. La partie locative à l'étage générerait aussi une valeur partageable si les deux conjoints sont unis selon le régime matrimonial de la société d'acquêts - le régime par défaut au Québec.

Voici où ça se complique: une partie de la propriété aurait été payée par Sarah avant le mariage, tant avec sa mise de fonds qu'avec le remboursement mensuel de capital. Il faudra déduire cette portion de la valeur partageable.

Un petit exemple permettra d'éclairer un peu le concept (du moins nous l'espérons).

Supposons que Sarah et Hugo se marient au moment où le duplex a atteint une valeur de 275 000$ et où le solde hypothécaire s'est abaissé à 175 000$. La valeur nette de l'immeuble est donc alors de 100 000$. Ce montant est la valeur acquise par Sarah au moment de l'union. Selon une mesure commune, 60% est attribuable au domicile familial du rez-de-chaussée, soit 60 000$.

Le couple se sépare quelques temps plus tard, alors que la valeur de la propriété s'est élevée à 35 0000$ et que le solde hypothécaire a fondu à 125 000$. La valeur nette est alors de 225 000$, dont 60%, soit 135 000$, s'appliquent au domicile familial.

De ces 135 000$ partageables entre les ex-conjoints, il faut soustraire les 60 000$ que Sarah avait acquis au moment de l'union. Sarah a droit également à la plus-value que ces 60 000$ ont réalisée durant l'union, dans notre cas 16 362$. Sarah récupérera donc 76 362$, et les 58 638$ restants seront partagés en deux.

S'ils sont unis sous le régime de la société d'acquêts, un calcul similaire s'appliquera à la partie locative.

Voilà qui devrait rassurer Hélène.

Les préoccupations de sa fille

De son côté, Sarah nourrit des préoccupations presque opposées à celles de sa mère: en supposant qu'ils demeurent conjoints de fait, comment éviter que Hugo soit pénalisé, alors qu'il participera aux travaux de rénovation?

S'il contribue aux versements hypothécaires quand il recommencera à travailler, l'achat par Hugo d'une part de la propriété sera alors à considérer.

«Il n'est pas nécessaire que Sarah et son conjoint détiennent le duplex en parts égales», précise Guylaine Lafleur. Il faudra cependant reconnaître la part que Sarah aura alors déjà versée.

Encore un petit exemple. Supposons que, dans un an, la propriété vaut encore 230 000$ et que le solde hypothécaire s'établit à 200 000$. Sarah aurait alors acquis 30 000$ sur cette propriété. «Si Hugo achète alors 50% du duplex, il devrait reconnaître devoir à Sarah la somme de 15 000$, soit la moitié de la valeur nette du duplex», explique Guylaine Lafleur.

Cette reconnaissance de dette pourrait être inscrite dans l'acte d'achat.

Comment cette dette serait-elle acquittée? Si elle n'est remboursée qu'au moment de la revente de l'immeuble, il faudra que Sarah récupère d'abord ses 30 000$ initiaux, augmentés d'un rendement équivalent à l'accroissement de valeur de la propriété. Le reste du produit de la vente sera ensuite partagé en deux.

Si le couple prévoit plutôt un remboursement progressif de la dette de 15 000$, on pourra ajouter aux paiements un taux d'intérêt - le taux d'inflation par exemple -, pour éviter que l'investissement initial de Sarah ne se déprécie au fil des ans.

Dans tous les cas de figures, une franche (et sans doute longue) discussion s'impose.