Enlevez-vous vos lunettes d'une seule main? Si c'est le cas, changez vite cette mauvaise habitude, surtout si vous avez des lunettes sans contour ou avec un demi-contour qui sont très populaires mais aussi très fragiles.

Prenez Thi Chin Nguyen. Au début de juillet 2009, elle a passé un examen de la vue chez Greiche&Scaff. Par la suite, une conseillère lui a vendu des lunettes à foyer progressif, au prix de 639,99$ incluant les taxes.

Mme Nguyen a choisi une monture avec un demi-contour en haut, de la marque maison I-TEQ. Les lentilles étaient garanties pour un an. Dix mois plus tard, elles étaient ébréchées aux deux extrémités, à la jonction avec les branches.

Au début de juin, la cliente est donc retournée à la boutique. «Après avoir consulté le gérant, la vendeuse m'a dit que la garantie d'un an ne peut pas s'appliquer parce que j'ai enlevé mes lunettes d'une seule main», raconte-t-elle.

Pourtant, la vendeuse ne lui a pas demandé de quelle façon elle enlevait ses lunettes. «Comment peut-elle conclure que le bris est la conséquence d'une mauvaise utilisation?» se demande Mme Nguyen.

Estomaquée par le refus, la cliente a tourné les talons sans argumenter. Mais elle voudrait comprendre pourquoi ses lunettes se sont brisées si vite et, surtout, si le refus du commerçant était normal.

Nous avons posé ces questions à Richard Chamberland, référé par l'Ordre des opticiens d'ordonnance du Québec.

Des lunettes avec un demi-contour qui sont ébréchées, «c'est quelque chose de fréquent», a-t-il répondu. Généralement, cela résulte d'un mauvais choix de lunettes en fonction des besoins du client, ou d'une utilisation abusive de la part du consommateur.

Il faut savoir que ce type de lunettes est plus délicat, surtout si la correction est faible et que la lentille est mince. Afin de glisser un fil de nylon qui fixera la lentille sur la monture, le laboratoire doit pratiquer une fine rainure autour de la lame de la lentille, ce qui la fragilise.

«Il y a une épaisseur minimale à respecter», dit M. Chamberland. Pour les clients qui ont une faible correction et qui désirent quand même avoir des lunettes sans contour, il conseille des lentilles amincies qui, paradoxalement, sont beaucoup plus résistantes, car le procédé les rend plus denses. Bien sûr, cela coûtera plus cher...

Restrictions

Comme les montures sans contour sont plus fragiles, l'opticien ne les recommande pas aux sportifs ou aux gens qui ont un travail manuel intense. Il ne les conseille pas non plus comme lunettes de lecture. «Les gens les enlèvent 30 fois par jour. Ils les mettent sur leur tête, dans leur cou, explique M. Chamberland. Il vaut mieux les orienter vers un modèle plus robuste.»

Tout repose donc sur le discours de l'opticien au moment de la vente.

«À l'achat, on avertit toujours nos clients qu'il y a un risque que ça chip. Ils peuvent oublier ou faire semblant d'oublier», nous a dit Ali Kaboul, gérant de la boutique. «Il ne faut pas les enlever avec une main. Sinon, ça fait une pression sur la monture et ça peut chiper la lentille. Et malheureusement, le fournisseur ne peut pas garantir cela.»

La garantie du fournisseur de lentille s'applique au défaut de fabrication, mais pas si la lentille est brisée. «Il faut voir avec le fournisseur s'il peut faire une exception et nous la remplacer. Mais s'il nous fait payer, on n'a pas le choix de le faire payer au client», a dit M. Kaboul, en invitant sa cliente à revenir le voir.

Les clients insatisfaits peuvent déposer une plainte auprès de l'Ordre des opticiens d'ordonnance qui pourra examiner la situation: est-ce que la rainure a été bien faite? Est-ce que l'épaisseur minimale a été respectée? Est-ce que Mme Nguyen a été bien conseillée par l'opticien? S'agissait-il vraiment d'un opticien?

Depuis plusieurs années, l'Ordre des opticiens dénonce les bureaux d'optométristes qui confient les tâches d'opticiens à des non-professionnels qui n'ont pas les compétences nécessaires, ce qui peut mener à des erreurs importantes.

Au Québec, seuls les optométristes et les opticiens ont le droit de poser, d'ajuster, de remplacer ou de vendre des lunettes.

En février 2009, 22 non-professionnels ont été accusés de pratiques illégales dans des bureaux d'optométristes, principalement les chaînes Greiche&Scaff, Lunetterie Sears et Optique Laurier.

Greiche&Scaff possède plus de 75 succursales partout au Québec avec plus de 300 employés et 80 optométristes, mais seulement quatre opticiens, selon la liste des membres de l'Ordre des opticiens d'ordonnance du Québec.