Chaque samedi, un financier différent répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Pierre Lussier, de Sipar.

À votre avis, quel est l'évènement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

Aux États-Unis, le nombre d'emplois créés le mois dernier a été inférieur à ce qui était attendu. Mais la sortie de récession est historiquement «normale» avec ses cinq mois de gains, tant du côté de l'emploi total que privé, après 22 mois de baisse.

La croissance économique ne bénéficiera plus de nouveaux stimuli monétaires et budgétaires, ce qui est normal. Mais elle devrait quand même être de l'ordre de 3% au cours des trois prochaines années. Toutefois, il y a plus de risque de «double dip» que de surchauffe économique.

Quel indicateur surveillez-vous le plus en ce moment?

Nous surveillons le sentiment du marché qui est une synthèse de différents indicateurs contraires (indice de volatilité, sondage auprès de gestionnaires de portefeuille, etc.). Les mesures de sentiment nous avaient amené à hausser notre encaisse au dernier sommet du marché, avant la baisse de 15%. Cette semaine, ces mesures ont pénétré une zone de pessimisme extrême. Toutes choses étant égales par ailleurs, nous aimons vendre aux optimistes et acheter des pessimistes.

Il est probable qu'une reprise boursière s'enclenche au cours des prochaines semaines, même si le «Sell in May and Go Away» n'a peut-être pas terminé sa course (ndlr: il s'agit d'un comportement classique des investisseurs qui ont tendance à vendre leurs actions à partir du mois de mai. Mais le phénomène ne se répète pas à chaque année)

Que feriez-vous avec 10 000$ à investir?

J'irais vers le marché boursier américain qui le plus attrayant du point de vue des perspectives de croissance économique relatives et de l'évaluation boursière relative. La meilleure façon de s'exposer à la Bourse américaine est d'acheter l'indice S&P500 à travers le fonds négocié en Bourse iShares (XSP) en dollars canadiens, inscrit à la Bourse de Toronto.

Dans l'univers des sociétés québécoises, je dirais Cogeco Câble (CCA), en dépit des perspectives de croissance qui ne sont pas extrêmement fortes. C'est un «value play». Le titre a baissé de 44$ à 33$. Son évaluation boursière est très attrayante.

Quel placement éviteriez-vous à tout prix?

J'évite les actifs qui ont très bien fait. Après la récente baisse des taux d'intérêt, il semble un peu tard pour prendre une position dans les obligations gouvernementales. Un éventuel rajustement de la politique monétaire pourrait ne pas les aider.

D'autre part, l'or ne pourra pas bénéficier éternellement de tous les scénarios: refuge en cas de crise mondiale qui génère une récession économique, refuge anti-inflationniste en cas de forte croissance économique, et refuge vis-à-vis un dollar américain qui baisse. Il est plus prudent de ne pas courir après un actif qui a connu une hausse quasi-exponentielle de 265$US à 1250$US (470%).

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus présentement?

J'accorde environ 60% de probabilité à un scénario de reprise économique modérée (environ 3% par année). Mais on pourrait être surpris dans un sens comme dans l'autre.

On pourrait être surpris positivement par une forte reprise économique stimulée par une demande des pays émergents, par l'effet retardé des puissantes interventions gouvernementales, et un creux de l'immobilier attirant les chasseurs d'aubaines.

Mais on pourrait aussi avoir une mauvaise surprise si l'endettement des gouvernements créé un effet domino qui ferait basculer le monde entier dans une spectaculaire dépression abyssale séculaire où le seul geste logique, rationnel et froid à poser serait de trouver refuge sur une jolie petite île tropicale ensoleillée pour plusieurs années à s'empiffrer de fraîches langoustes.

Pierre Lussier occupe le poste de vice-président exécutif chez Sipar dont il a joint les rangs il y a trois ans. Fondée en 1992, la firme de gestion montréalaise gère plus de 300 millions d'actifs pour des clients institutionnels. Elle investit à long terme dans des sociétés québécoises bien gérées qui se négocient à un cours attrayant.