À la suite du décès de son mari, Suzanne a reçu cet hiver un chèque amputé de 28 000 $. En voici la petite histoire.

Son conjoint Robert est décédé en décembre dernier, à l'âge de 58 ans. Il avait adhéré en 1991 au programme de Régime de participation différée aux bénéfices (RPDB) de son employeur. Avec un tel régime, l'entreprise partage une partie de ses bénéfices avec ses employés pour leur procurer un revenu de retraite. Au moment du décès de Robert, son RPDB contenait 78 256 $.

Le testament de Robert, rédigé en 2006, nomme Suzanne légataire universelle, et prévoit un legs particulier à son endroit pour tous les régimes de pension du défunt. Elle est également nommée liquidatrice de succession.

Mais surprise ! le chèque qui lui parvient n'est qu'au montant de 50 000 $. L'assureur vie qui est fiduciaire du RPDB refuse de faire le paiement directement au REER de Suzanne, comme le prévoit le testament. L'entreprise argue que c'est la succession qui est inscrite comme bénéficiaire du régime en cas de décès, alors que le testament ne la désigne que comme légataire, explique Suzanne.

L'assureur a donc décidé de faire le chèque au nom de la succession et de retenir les impôts fédéral et provincial.

« On accroche sur un mot pour 28 000 $ », déplore Suzanne.

« Après 37 années de mariage sans salaire et encore moins de fonds de pension, comment puis-je limiter les dégâts ? »

La voie détournée

La notaire et fiscaliste Geneviève Leblanc, expert-conseil chez Banque Nationale Gestion privée 1859, a creusé la question, avec le soutien de sa collègue fiscaliste Natalie Hotte.

En cas de décès du détenteur, rappellent-elles, le montant accumulé dans ce RPDB peut être entièrement versé au REER du conjoint survivant, par paiement forfaitaire unique sans prélèvement d'impôt, avec le formulaire T2151.

Or, on l'a vu, l'assureur a refusé ce transfert direct, qui est couramment utilisée, sous prétexte que c'est la succession qui est désignée comme bénéficiaire au contrat de RPDB.

La compagnie d'assurance a plutôt opté pour le transfert indirect. Dans un tel cas, le fiduciaire du régime paie habituellement le montant brut du RPDB à la succession, qui le transmet ensuite à la conjointe survivante. Celle-ci le verse enfin dans son REER pour éviter le paiement des impôts.

Mais voilà, l'assureur a retenu les impôts avant de transférer l'argent à la succession ! « Dans la Loi de l'impôt et les règlements, on ne mentionne ces retenues que lorsque le versement est fait à l'employé », soulignent les deux conseillères.

Que faire maintenant ? Heureusement, Suzanne a eu l'excellent réflexe de ne pas encaisser le chèque. Si l'assureur persiste dans son refus de lui refaire un paiement complet et direct, elle pourra encore opter pour la voie indirecte... et par conséquent sinueuse.

Suivez-nous bien. Le chèque au montant de 50 000 $ sera déposé dans le compte de la succession. La succession devra produire une déclaration d'impôt le plus tôt possible, où elle attribuera à Suzanne le montant total du RPDB. La succession pourra ainsi demander le remboursement des impôts retenus par l'assureur fiduciaire et payés au fisc. Dès que le remboursement d'impôt lui parviendra, la succession paiera à Suzanne l'entièreté des 78 000 $ du RPDB.

Suzanne devra alors déposer cette somme dans son REER à l'intérieur des 60 premiers jours de 2011, pour qu'elle puisse la déduire dans sa déclaration de 2010.

Si la succession n'obtient pas le remboursement dans ces délais, Suzanne pourrait faire un emprunt équivalent afin qu'un total de 78 000 $ ait été déposé dans son REER.

Dans sa propre déclaration de revenus, Suzanne inscrira le montant reçu comme un revenu - touché en 2010 selon le relevé que la succession lui émettra - et déduira la même somme comme contribution spéciale à son REER, ce qui lui épargnera les impôts.

On comprend l'importance pour la succession de produire le plus tôt possible sa déclaration 2010, afin que le remboursement d'impôt lui parvienne et soit reversé à Suzanne avant la limite de 60 jours. « C'est la seule solution alternative, qui malheureusement est plus complexe, parce qu'il y a plus de formulaires à compléter, un calendrier précis à respecter et plus de paperasse », commente Geneviève Leblanc. La démarche devrait être prise en main par un comptable compétent en la matière.

Le testament est clair et n'aurait pas dû prêter à controverse. Toutefois, il aurait pu inclure une clause prévoyant deux cas de figures. « C'est une clause standard où la conjointe est nommée bénéficiaire des régimes; et à défaut pour cette désignation d'être reconnue valide, elle est nommée légataire à titre particulier, explique Geneviève Leblanc. Ça aurait probablement réglé la question avec cette institution financière. »

LA SITUATION

Suite au décès de son mari, Suzanne aurait dû encaisser la totalité du régime de participation différée aux bénéfices (RPDB) de celui-ci, qui lui servait de régime de retraite chez son employeur. Mais le fiduciaire du régime a retenu 28 000 $ en impôt sur les 78 000 $. L'argument : c'est la succession qui est bénéficiaire du régime, alors que le testament indique que Suzanne en est légataire.

« Malgré que ce n'était pas ma compétence, je n'ai pas baissé les bras, je ne veux pas baisser les bras, par respect pour mon mari. »

- Suzanne

L'ANALYSE

Rien n'empêchait le fiduciaire de transférer directement à Suzanne, ou indirectement par l'intermédiaire de la succession, l'entièreté du RPDB sans retenues fiscales. Que faire maintenant ? En une succession rapide (et complexe) d'encaissement, transfert, demande de remboursement d'impôt et versement au REER, Suzanne pourrait encaisser la totalité de ses 78 000 $ au courant 2011.

« Que cette compagne d'assurance retienne des impôts malgré que le régime soit dévolu à la conjointe survivante est assez douteux. »

- Geneviève Leblanc

Geneviève Leblanc, expert-conseil chez Banque Nationale Gestion privée 1859. Elle a été assistée de l'expert-conseil Natalie Hotte.