Le monde change. Il tourne à deux vitesses. Dans les pays développés, la population vieillit, les gouvernements et les consommateurs sont endettés et les perspectives de croissance économique sont faibles. Dans les pays émergents, c'est tout le contraire! Comment garder un portefeuille équilibré dans un monde qui ne l'est pas?

Avez-vous des pays émergents dans votre portefeuille? Quand Luc de la Durantaye pose cette question dans une salle remplie d'investisseurs institutionnels, à peine la moitié des spécialistes lève la main. Et les mains retombent vite lorsque le stratège leur demande si leur portefeuille d'actions contient au moins 10% de pays marchés émergents.

«La réflexion sur les pays émergents est entamée depuis longtemps, mais ça ne se reflète pas dans les portefeuilles», constate M. de la Durantaye, premier vice-président chez Gestion globale d'actifs CIBC.

Les investisseurs sont souvent réticents parce qu'ils pensent que les marchés émergents sont risqués. Ils ont encore en tête la crise du peso mexicain en 1994, la crise asiatique en 1997 et celle de la Russie l'année suivante. «Mais il faut remettre les pendules à l'heure», affirme M. de la Durantaye. La Bourse américaine qui s'est effondrée de 57% durant la crise du crédit, était-elle moins risquée?

Et puis, beaucoup d'investisseurs trouvent qu'il y a peu de transparence dans certains pays émergents. «De la transparence, il n'y en avait pas du tout chez Enron et AIG!» s'exclame M. de la Durantaye.

Pendant que les investisseurs tergiversent, les marchés émergents avancent à toute vitesse...

Désormais, leurs Bourses représentent plus de 12% de la capitalisation boursière mondiale, par rapport à seulement 1% en 1988. Et leur économie forme près de 40% de l'économie mondiale, par rapport à moins de 20% dans les années 80.

«À mi-chemin de la présente décennie, le poids économique du monde émergent dans l'économie mondiale surpassera celui du monde développé», pointe Vincent Lépine, vice-président chez CIBC, dans une présentation sur l'investissement dans un contexte de déséquilibres économiques mondiaux.

Une récession, deux mondes

Les pays émergents sont ressortis de la récession en bien meilleure posture que les pays développés. Leurs finances publiques sont en ordre, leur économie en forte croissance, leurs banques en santé, et leurs consommateurs jeunes et peu endettés.

«Le monde change. Il y a des changements structurels qui s'opèrent. L'économie mondiale est tirée par la demande intérieure dans les pays émergents. L'éveil du consommateur chinois est un point tournant. C'est du jamais vu!» lance M. Lépine.

En fait, la récession n'a fait qu'accentuer le déséquilibre qui existait depuis longtemps dans l'économie mondiale.

Au cours de la dernière décennie, les devises asiatiques se sont dépréciées de 25% par rapport aux monnaies des pays développés. Entre autres, la Chine est intervenue massivement pour limiter l'appréciation de sa devise et favoriser ses exportateurs.

Les manufactures des pays émergents tournaient à plein régime et vendaient leurs produits dans les pays développés qui s'endettaient de plus en plus. Mais pendant ce temps, les producteurs des pays développés devenaient de moins en moins concurrentiels, sabrant des millions d'emplois et affaiblissant l'économie.

Puis la crise du crédit a frappé. Les gouvernements des pays développés ont dû pomper des milliards pour secourir leurs banques et sortir l'économie de la récession. Ils ont accusé d'énormes déficits budgétaires.

En 2010, le déficit exprimé en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) dépasse 7% au Japon et en Europe, 10% aux États-Unis, et 13% au Royaume-Uni. Rien de comparable aux pays émergents où le déficit n'excède pas 4% de la taille de l'économie, compare M. Lépine.

À ce rythme, l'endettement public (dettes/PIB) atteindra 106%, dans quatre ans, dans les pays développés, contre seulement 36% dans le monde émergent, prévoit M. Lépine.

Il faut dire que la population des pays développés vieillit et que les gouvernements n'ont pas encore adapté leur politique budgétaire pour tenir compte des changements démographiques. La Grèce est un exemple criant. Mais cela ne pourra plus durer bien longtemps. Les gouvernements doivent rétablir leur budget de toute urgence, estime M. Lépine.

Cela entraînera des mesures d'austérité. «La ponction fiscale va ralentir considérablement la croissance économique des pays développés», prévient M. de la Durantaye. Les consommateurs devront se serrer la ceinture.

Dans les pays émergents, c'est tout le contraire. Il n'y a pas de problèmes de finances publiques. Et les consommateurs ne sont pas endettés: le consommateur chinois a un niveau d'endettement de seulement 16%, tandis qu'en Amérique du Nord, les dettes dépassent 100% du revenu disponible des ménages.

Dans votre portefeuille

Les investisseurs doivent regarder la planète économique autrement, estiment donc M. de la Durantaye et M. Lépine.

D'un côté, il y a les pays émergents qui ont des économies à forte croissance, de l'autre il y a les pays développés dont les économies arrivent à maturité ou entrent en phase de décroissance comme au Japon.

Selon les deux financiers, les investisseurs devraient insérer au moins 12% d'actions émergentes dans leur portefeuille. «C'est un minimum à atteindre, dit M. de la Durantaye. Mais on pourrait aller plus haut. Si on se donnait la taille de l'économie comme objectif, on irait jusqu'à 40%. Ce serait audacieux... mais pas complètement fou.»

Depuis 20 ans, l'indice boursier MSCI des pays émergents a réalisé un rendement annuel composé de 26% en monnaie locale. Même en tenant compte de la dépréciation de leur devise, les pays émergents ont livré un rendement très avantageux pour les investisseurs canadiens.

De 1988 à 2009, les pays émergents ont grimpée de 12,6% par an, en dollars canadiens, par rapport à 8,6% pour la Bourse canadienne, à 8,3% pour la Bourse américaine, et seulement 4,7% pour les autres marchés outremers (Europe, Japon, etc.).

L'investisseur qui aurait glissé 12% de pays émergents dans son portefeuille aurait bonifié son rendement de 1%, obtenant 7% par année au lieu de 6%, a calculé M. Lépine.

Selon ses prévisions, les pays émergents offriront le double du rendement des pays développés, d'ici quatre ans, soit environ 10% par année, par rapport à seulement 5%.

Pour les particuliers, l'idéal est de sélectionner un fonds de pays émergents bien diversifié, plutôt qu'un fond concentré dans les pays BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine). «Il vaut mieux y aller de façon large», estime M. de la Durantaye.

Cela permet de profiter de la croissance de pays comme la Turquie (qui a une population jeune, un système bancaire solide, et qui est à la frontière de l'Europe, l'Asie et la Russie), de Taïwan (très forte en techno, et qui profitera du rapprochement avec la Chine), et d'autres pays prometteurs comme la Pologne, l'Indonésie ou les Philippines.

Pour ceux qui seraient tenté de sélectionner les pays à la carte, sachez que les risques sont plus grands. Les Bourses de pays émergents sont très concentrées dans une poignée de titres. Au Mexique et en Russie, par exemple, les cinq plus grandes sociétés accaparent plus de la moitié de la Bourse.