Chaque samedi, un financier différent répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Carlos Leitao, de la Banque Laurentienne.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

Le facteur marquant a été la bonne réception des émissions de dettes américaines. À la fin de la semaine précédente, on voyait venir quelque 200 milliards de dollars de titres à émettre par le Trésor américain. Les marchés étaient nerveux: les taux d'intérêt sur les obligations américaines de 10 ans sont montés à 4%, ce qui ne s'était pas produit depuis 2007, soit avant l'éclatement de la crise financière.

Mais les marchés ont bien réagi cette semaine: les taux sont redescendus autour de 3,9%. Ça veut dire qu'on a exagéré un peu trop: plusieurs observateurs pensent que les déficits massifs des gouvernements vont mener à une explosion de l'inflation, que tout ça va se terminer dans les larmes.

À mon avis, ce n'est pas du tout ce qui se produira. Je ne minimise pas l'ampleur du déficit. Mais en même temps, les dettes des entreprises et des particuliers sont à la baisse aux États-Unis. Le niveau total d'endettement est en train de diminuer... pas d'augmenter.

Quel indicateur surveillez-vous le plus attentivement en ce moment?

L'indicateur que j'aime le plus est l'indice MBA (Morgage Bankers Association) qui donne une lecture hebdomadaire des nouvelles demandes de prêts hypothécaires. C'est très utile pour suivre le marché de l'habitation aux États-Unis.

Présentement, l'immobilier américain est fragile. Depuis quelques mois, on pensait que la situation commençait à se stabiliser, tant du côté des prix de vente que du volume de reprises de propriété. Mais depuis environ huit semaines, les demandes d'hypothèques commencent à baisser. Cela nous rend un peu inconfortable pour le marché immobilier qui reste la clé de la reprise.

Que feriez-vous avec 10 000$ à investir?

Je continuerais avec la même répartition d'actifs. Si vous avez un portefeuille avec 60% d'actions, 35% d'obligations et 5% d'encaisse, je réinvestirais dans les mêmes proportions, en gardant une perspective de long terme. Il est très difficile de «timer» les fluctuations du marché à court terme, à la perfection. Quand on y arrive, c'est plutôt un coup de chance.

Quel placement évitez-vous à tout prix?

J'ai toujours été anti-spéculation. Il y a des gens qui se jettent dans les fonds spéculatifs de matières premières. À ce point-ci, ça devient dangereux. D'abord, c'est extrêmement volatil. Et puis, les prix des matières premières commencent à nouveau à s'éloigner de leur valeur fondamentale. Oui, il y a une reprise économique mondiale, mais elle n'est pas si forte que ça. Je ne pense pas que ça justifie des prix aussi élevés pour l'énergie et les métaux. Ça ne veut pas dire que je n'investirais pas dans les sociétés pétrolières. Mais j'éviterais les fonds qui spéculent directement sur les prix des matières.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus présentement?

On surestime la possibilité d'une déconfiture européenne. À mon avis, cela est très peu probable. Tout le monde est convaincu que ça va mal tourner, que les pays comme la Grèce vont être forcés de restructurer leurs dettes, que l'euro subira un contrecoup presque fatal.

La situation n'est pas si catastrophique. Par exemple, la Grèce a besoin d'environ 20 milliards d'euros pour des renouvellements à court terme. Ce ne sont pas des montants particulièrement préoccupants.

Le problème est surtout d'ordre politique. Il n'y a pas de mécanismes pour que l'Union européenne vienne en aide aux pays en difficulté. Il n'y a pas de véritable fédéralisme fiscal. C'est une question complexe... mais pas fatale.

Nommé deuxième meilleur économiste au monde par l'agence financière Bloomberg, Carlos Leitao occupe depuis 2003 le poste d'économiste en chef de Valeurs mobilières Banque Laurentienne. Huitième banque en importance au Canada, la Laurentienne compte 3500 employés et 156 succursales.