Pas toujours facile, la vie de designer consultant. Les contrats ne pleuvent pas au Québec. Et c'est souvent pour ajouter de l'eau à leur moulin que les designers lancent des projets d'étude avec leurs propres fonds.

La conception d'un arrosoir de jardin, par exemple.

C'est l'objectif que s'est fixé Daniel Thibault, président de Skerpa Design. Ce designer industriel conçoit notamment des chaussures de sport, une spécialité qui lui a ouvert le marché américain en 2009. Il ne délaisse pas le design d'objets pour autant.

En 2008, on lui a dénoncé les arrosoirs de jardin comme des exemples de produits à faible valeur ajoutée, qui aggravaient encore leur cas en occupant un espace démesuré au moment de l'entreposage et du transport.

Daniel Thibault y a tout de suite vu un défi: «Concevoir un arrosoir de gros volume qui serait empilable.»

Il est vrai, certains petits arrosoirs d'intérieur s'empilent en s'emboîtant, comme le modèle Vallo d'Ikea, conçu par la designer Monika Mulder. Mais c'est la poignée placée à l'arrière de ce petit contenant de 1,2 litre qui permet cette performance.

Un arrosoir de grande capacité - celui de Skerpa Design contient 7 litres - doit être muni d'une poignée sur le dessus, pour que le jardinier puisse facilement porter et soutenir la lourde charge.

Comment emboîter de tels arrosoirs? En ménageant un puits, sur toute la hauteur de l'arrosoir, dans lequel viendra se loger la poignée de l'arrosoir du dessous.

Le bec verseur présentait lui aussi un problème. Sur l'arrosoir Ikea, il est ouvert sur toute sa longueur. Cette solution ne pouvait être adoptée sur un arrosoir de jardin à grand débit. Pour simplifier le moulage, le bec de l'arrosoir de Skerpa Design est plutôt fermé par un couvercle indépendant, mis en place à l'usine.

Plus ce couvercle se prolonge vers le réservoir, moins les arrosoirs sont emboîtables. Par contre, s'il ne couvre pas suffisamment le réservoir, il y a un risque de débordement pendant l'arrosage, comme Daniel Thibault s'en est aperçu avec un premier prototype. Le délicat équilibre entre les deux contraintes a été atteint à coups de modélisation 3D et de prototypes. «Il y a eu beaucoup de mécanique des fluides réalisée de façon intuitive et validée par essais-erreurs», indique le designer.

Ergonomie

«À travers tout ça, lance Daniel Thibault, le consommateur n'en a rien à faire que ce soit empilable.»

Cette caractéristique réduira le coût de transport et l'impact environnemental, mais il est vrai que le consommateur veut d'abord un produit qui fonctionne bien et qui se manipule aisément.

Pour harmoniser les critères d'emboîtement et d'ergonomie, Daniel Thibault a décentré la poignée vers l'arrière et lui a donné une légère inclinaison montante. Le puits pour l'emboîtement procure ainsi à l'arrosoir une intrigante cavité sur sa partie arrière.

Cette unique poignée remplace avantageusement les poignées doubles des modèles ordinaires, assure le designer. «L'arrosage se fait beaucoup plus naturellement, dit-il, sans devoir utiliser la deuxième main ou changer radicalement la position de la main sur la poignée.»

On aimerait le vérifier à l'usage: une capacité de 7 litres signifie tout de même une charge maximale de 7 kg.

Le réservoir ouvert et évasé entraîne d'autres avantages... que Daniel Thibault a découverts après coup. Il est facile à nettoyer et il peut recueillir l'eau de pluie lorsque laissé à l'extérieur.

L'arrosoir Mezzamorphos est en instance de brevet. Daniel Thibault mène des discussions pour en assurer la fabrication et la commercialisation. «Si on a un produit qui rapporte des dividendes, ça peut stabiliser les revenus», fait-il valoir.

Quand ce sera conclu, il faudra arroser ça.