Voilà plus de cinq ans que les propriétaires de maisons de villégiature dénoncent l'augmentation fulgurante de leur facture d'impôt foncier. Une demi-douzaine de solutions ont été soumises au ministère des Affaires municipales du Québec. Mais aucune ne fait consensus. À ce compte-là, les propriétaires de résidences riveraines vont se retrouver le bec à l'eau...

François Doyon est parti en campagne. Au sens propre comme au sens figuré. En 2003, il s'est construit une maison à flanc de montagne à Sainte-Adèle, dans les Laurentides. Six ans plus tard, il a sauté au plafond lorsque son évaluation foncière a explosé de 55%, passant de 221 000$ à 342 000$ d'un seul coup.

«Qu'est-ce que c'est que cette histoire? C'est une augmentation complètement inattendue!» s'est exclamé le retraité. Sa facture d'impôt foncier aurait augmenté de 600$, pour s'établir à 3300$, s'il n'avait pas contesté son évaluation qui a finalement été rabaissée à 278 000$.

Malgré tout, M. Doyon est parti en campagne... contre le système d'évaluation foncière. Il a rejoint de nombreux autres propriétaires de maisons qui ont subi des augmentations encore plus prononcées de leurs impôts fonciers.

Souvent, il s'agit de personnes âgées qui ont vu la valeur de leur maison exploser durant les années 2000 sous l'effet de la demande des baby-boomers qui cherchent un petit coin au bord de l'eau ou un joli lopin de terre pour leur retraite.

Pour les propriétaires de longue date les plus démunis, la facture fiscale est devenue si lourde que la seule issue est de vendre leur maison.

Cul-de-sac

Mais après des années de revendications, les propriétaires fonciers se retrouvent aujourd'hui dans un cul-de-sac.

Leurs récriminations ont alimenté les consultations publiques sur les conditions de vie des aînés du Québec, menées par la ministre Marguerite Blais, en 2007.

Par la suite, le ministère des Affaires municipales du Québec a invité les principaux intéressés à une table de concertation. Une demi-douzaine de solutions ont émergé. Mais aucune ne fait consensus.

Le ministre des Affaires municipales Laurent Lessard n'est donc pas en mesure d'aller de l'avant, alors que les propriétaires espéraient l'adoption de mesures législatives dès ce printemps.

«Il y a autant de solutions que de groupes consultés. Pour nous, il est difficile d'avancer dans l'application d'une solution qui n'obtient aucune adhésion», a expliqué à La Presse Affaires Sylvain Bourassa, l'attaché de presse du ministre. Selon lui, les discussions devront se poursuivre afin de sortir de l'impasse.

Mais l'opposition s'impatiente. «La fiscalité municipale doit absolument être revue, et ce, le plus rapidement possible. Il faut diversifier les entrées d'argent des municipalités. Est-ce que ça passe par un partage de la TVQ? Peut-être. Est-ce que ça passe par d'autres solutions? Sûrement», lance André Villeneuve, porte-parole du Parti québécois en matière d'affaires municipales.

Chose certaine, il faut enlever de la pression sur les impôts fonciers qui composent environ les trois quarts des revenus des municipalités, assure le député de Berthier et ancien maire de Lanoraie.

«La situation perdure et c'est malsain, dit-il. Le problème est très sérieux et ne se limite pas aux maisons au bord des lacs. Ça touche un peu tout le monde au Québec.»

Les racines du mal

Pour comprendre d'où vient le mal, il faut savoir que les rôles d'évaluation foncière sont revus aux trois ans. Lorsque le marché immobilier s'emballe, cela entraîne des augmentations substantielles de la valeur de toutes les maisons, y compris celles qui n'ont pas été vendues.

En principe, cela n'a pas de conséquence: si toutes les maisons grimpent de 30%, la municipalité peut réduire d'autant son taux d'imposition, si bien que la facture d'impôt foncier des propriétaires ne bouge pas.

Les problèmes surviennent lorsque la valeur des maisons, au sein d'une même municipalité, ne progresse pas au même rythme: d'une part, le prix des résidences au bord de l'eau double; d'autre part, le prix des maisons dans le village fait du surplace.

Même si la municipalité réduit son taux, les riverains écopent quand même de hausses significatives, tandis que les résidents du village obtiennent des baisses d'impôts.

Ce clivage provoque d'ailleurs des tensions au sein des municipalités, car les riverains supportent un fardeau fiscal accru, sans pour autant recevoir plus de services.

Mais à part réduire son budget, la municipalité n'y peut rien, car elle doit appliquer le même taux à tous les résidants, selon la loi. Présentement, le problème est pratiquement sans issue.

Remède de cheval

Plusieurs groupes de contribuables réclament donc des changements fondamentaux au système d'évaluation foncière.

Ils militent pour le gel ou le plafonnement de la hausse de la valeur imposable des maisons, tant et aussi longtemps qu'elles ne sont pas vendues.

«La solution qu'on privilégie est celle de la Nouvelle-Écosse. Il faut arrêter d'évaluer les propriétés en fonction du prix de vente dans le voisinage», dit Diane Lachaine, présidente du Regroupement Évaluation Responsable, dont la pétition a recueilli plus de 2000 signataires sur l'internet.

Depuis 2005, les résidants de la Nouvelle-Écosse bénéficient du Cap Assessment Program. Ce programme fait en sorte que l'augmentation de leur valeur imposable est limitée au taux d'inflation. Pour 2010, l'augmentation est de... 0,0%.

D'ailleurs, la formule fait l'envie des propriétaires au Nouveau-Brunswick où le même débat fait rage.

Au Québec, l'Association des propriétaires fonciers du Québec (APFQ) préconise une variante de cette formule, soit le principe du «disjoncteur», qui permettrait d'éviter les cas extrêmes, en bloquant les hausses d'impôt qui sont nettement au-dessus de la moyenne (10% ou 15%).

Mais l'Ordre des évaluateurs agréés du Québec (OEAQ) estime que toutes ces solutions sont inéquitables. Il faudra déshabiller Pierre pour habiller Jacques. Il faudra faire payer davantage les gens dont la maison a gagné peu de valeur, surtout si l'on redistribue les impôts fonciers, en utilisant comme base de calcul les évaluations municipales du début des années 2000, avant l'ascension des prix, comme certains contribuables le voudraient.

«Si on gèle la valeur imposable, qui va payer pour ça? C'est le petit couple sur le rang d'en arrière! Est-ce que c'est vraiment équitable pour l'ensemble des citoyens?» demande Francine Fortin, présidente de l'Ordre des évaluateurs agréés du Québec.

D'autres estiment que les remèdes proposés par les propriétaires auront des effets secondaires encore pires que la maladie. Par exemple, en Californie où le plafonnement des impôts existe depuis 30 ans, les propriétaires de longue date ne veulent plus déménager, sachant qu'ils perdraient leur avantage fiscal.

Soins palliatifs

De leur côté, les municipalités ont suggéré des remèdes palliatifs.

La Fédération québécoise des municipalités propose l'élargissement de l'actuel programme de remboursement des impôts fonciers, auquel ont droit les personnes démunies. Mais il en coûterait près de 400 millions à Québec pour couvrir également les propriétaires riverains.

Pour l'Union des municipalités du Québec, «la moins mauvaise solution est le report d'impôt, car il préserve le principe d'équité», fait valoir Jasmin Savard, coordonnateur des politiques à l'UMQ.

Avec le Programme de report de l'impôt foncier (PRIF), les propriétaires pourraient reporter une portion de leurs impôts fonciers, avec intérêts. Le montant serait remboursé à la vente de la maison.

Mais ce principe va à l'encontre des valeurs des aînés qui ne veulent pas s'endetter, ni gruger leur patrimoine. «Le report d'impôt, c'est comme une hypothèque inversée. Il n'y a pas grand monde qui veut s'embarquer là-dedans», dit Louis Giasson, membre du conseil de l'APFQ.

Ce résidant de Saint-Jean-Port-Joli a vu sa facture d'impôt foncier doubler. Il paie aujourd'hui 3400$ pour sa maison au bord du fleuve, par rapport à 1700$ il y a six ans.

Reste donc le crédit d'impôt ciblé, une solution de compromis qui ne fait le bonheur de personne. Il serait offert par les municipalités, spécifiquement aux propriétaires étouffés par une augmentation élevée de leur avis d'imposition.

«C'est ce que j'ai appelé du «bien-être social» pour l'immobilier, ironise M. Doyon. Il faudra aller se mettre à genoux devant le conseil municipal.»

LES AUTRES VARIABLES DU PROBLÈME

Le budget des municipalités

À la faveur d'un marché immobilier explosif, le budget de bien des municipalités a augmenté plus vite que l'inflation. Or, la hausse des dépenses se répercute sur les impôts fonciers de l'ensemble des citoyens.

Le déficit démocratique

Les riverains qui subissent les hausses les plus vives sont souvent des vacanciers moins bien représentés à la mairie. Cela accentue les tensions avec les «résidants permanents» qui participent plus activement à la politique municipale.

L'opacité du système d'évaluation

L'évaluation foncière résulte de savants calculs, ardus à comprendre pour les propriétaires. L'actuel processus de modernisation du système québécois d'évaluation amènera un peu de lumière dans cette «boîte noire».

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Plusieurs solutions sont envisagées, mais aucune ne fait l'unanimité

1- Gel ou plafonnement de la valeur de la résidence

Ce modèle s'apparente à celui qui existe en Nouvelle-Écosse et en Californie. Il fait en sorte que la valeur imposable de la propriété augmente en fonction d'un facteur uniforme (ex: l'inflation, l'augmentation moyenne de l'ensemble des résidences de la municipalité), tant que la maison est détenue par le même propriétaire. La valeur imposable est ajustée à la valeur marchande, au moment d'une transaction, si bien que l'avis d'impôt foncier du nouveau propriétaire reflète le prix qu'il vient de payer. Mais il sait à quoi s'attendre.

Partisans

Groupe de contribuables

Détracteurs

Ordre des évaluateurs, UMQ

Remet en question les fondements du système de taxation

Crée une disparité entre le compte de taxe de différents propriétaires

Après plusieurs années, les impôts fonciers sont déconnectés de la valeur des maisons

Freinerait le marché de la revente, en incitant les propriétaires à ne pas déménager

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2- Application d'un taux d'impôt foncier différent selon les zones géographiques

Présentement, les municipalités peuvent appliquer des taux d'imposition différents pour les catégories d'immeubles (résidentiel, commercial, etc.). Elles pourraient aussi faire varier le taux, selon différentes zones géographiques sur leur territoire (village, bord de lac, etc.). Ainsi, elles pourraient abaisser le taux dans les zones où la valeur foncière a explosé pour limiter la hausse de l'avis d'imposition.

Détracteurs

Ordre des évaluateurs, UMQ

Réforme moins radicale que la première solution, mais néanmoins très importante

L'utilisation de ce mécanisme serait laissée à la discrétion des municipalités, qui ne l'appliqueraient pas nécessairement

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3- Recours obligatoire à la tarification par les municipalités

Les municipalités peuvent déjà recourir à la tarification et facturer les citoyens en fonction des services qu'ils utilisent. Cela diminue d'autant l'impôt foncier qui fluctue au gré du marché immobilier. Mais le choix d'utiliser la tarification revient au conseil municipal. On pourrait la rendre obligatoire pour certains services, ou imposer la tarification aux municipalités jusqu'à un pourcentage minimal de leurs revenus.

Certains services sont difficiles à tarifer

Difficile d'établir quel pourcentage des revenus municipaux se prête à la tarification, compte tenu des différences entre les municipalités

Provoque un déplacement du fardeau fiscal des immeubles non résidentiels et agricoles (à qui les tarifs ne s'appliqueraient pas) vers l'ensemble du secteur résidentiel.

Peut fermer la porte de certains services aux plus démunis

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4- Étalement obligatoire des hausses de valeurs

Présentement, la loi permet l'étalement de la hausse de l'avis d'imposition sur plusieurs années, pour éviter aux résidants d'absorber d'un coup sec l'augmentation de leur compte de taxes, lorsque le nouveau rôle triennal entre en vigueur. L'étalement est facultatif, mais on pourrait le rendre obligatoire.

Reste dans l'esprit de la loi actuelle

Ne fait qu'amortir le choc, sans résoudre le problème

Augmenterait les coûts administratifs pour les petites municipalités

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5- Élargissement du remboursement de l'impôt foncier

Il existe déjà une mesure provinciale de remboursement des impôts fonciers pour les locataires et les propriétaires à revenus modestes. On pourrait perfectionner cet outil pour aider les personnes âgées frappées par une hausse importante de leur avis d'imposition, et même viser spécifiquement le maintien à domicile des personnes âgées, comme l'a fait l'Ontario en 2008.

Partisan

Fédération québécoise des municipalités

Si les critères d'admissibilité sont larges, les coûts de cette mesure pourraient être très lourds à porter pour la province dont les finances sont déjà très serrées

Est-ce à Québec de régler un problème qui résulte des taxes municipales?

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6- Mise en place d'un mécanisme de report d'impôt foncier

La mise en place d'un programme de report de l'impôt foncier (PRIF) permettrait aux propriétaires de différer le paiement des taxes (avec intérêts) jusqu'au moment où ils vendent leur maison (et obtiennent des liquidités).

Partisan

UMQ

Détracteur

Groupe de contribuables

Ne bouscule pas le système actuel

Selon un sondage, les personnes âgées ne veulent pas du PRIF, une forme d'hypothèque inversée, qui grugerait leur patrimoine

L'administration du PRIF serait lourde et coûteuse pour les municipalités

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7- Création d'un crédit de taxe ciblé

Les municipalités pourraient accorder des crédits de taxes aux propriétaires qui subissent des hausses élevées de leur compte de taxe. Pour l'obtenir, les résidants devraient être propriétaires depuis plus de 20 ans, et avoir un revenu familial inférieur à 50 000$ ou 65 000$

Détracteurs

Groupe de contribuables, Fédération des municipalités du Québec

Le crédit aide les plus démunis, mais ne règle pas le problème pour les autres propriétaires, car les critères sont trop restrictifs, déplorent les groupes de contribuables

Le crédit doit rester facultatif, dit la Fédération des municipalités, mais les contribuables veulent qu'il soit obligatoire