Son testament léguait 715 000 $ légués à ses soeurs, décédées depuis. Sa nièce s'interroge : qui sont les héritiers ?

« Ma vieille tante de 100 ans est décédée au mois de novembre dernier », nous écrit une lectrice. « Son dernier testament est daté de 1998. Elle laissait tous ses avoirs (environ 715 000 $) à ses quatre soeurs vivantes à la signature de son testament et la somme de 500 $ à un des ses frères vivant à ce moment aussi. »

« Ma tante avait en tout 11 frères et soeurs, dont six étaient déjà décédés à la signature du testament. Elle était veuve depuis longtemps et n'avait pas d'enfant. »

Or, quand sa tante s'est éteinte - appelons-là Hortense pour simplifier la narration -, tous ses frères et soeurs l'avaient déjà précédée.

« Aucune autre directive n'est mentionnée dans le testament », poursuit notre lectrice, fille d'une des soeurs citées au testament. « Ma questions est la suivante : qui sont les héritiers ? Les 31 neveux et nièces à parts égales ? Les héritiers des personnes nommées dans le testament ? »

Testament muet

Piquante question. C'est l'occasion de rappeler quelques-uns des principes qui règlent la dévolution d'une succession, avec l'aide de la notaire Denise Archambault.

Notre lectrice était convaincue que le testament n'abordait pas la question du décès prématuré des légataires.

Mais ce n'était pas tout à fait le cas. Un article mentionne que « si l'une d'elles décède avant moi, sa part accroîtra à ses colégataires; il n'y aura pas lieu à la représentation. »

Dans des mots intelligibles du commun des non-juristes, la première partie de cette phrase signifie que si une des héritières est déjà disparue au décès de la tante Hortense, sa part de l'héritage s'ajoutera à celles de ses soeurs.

L'autre segment exclut la représentation, c'est-à-dire la capacité d'un descendant - le représentant - à recevoir une succession à la place de son ascendant (son père ou sa mère) si celui-ci meurt avant le testateur.

En d'autres mots, si une soeur héritière est déjà décédée, ses enfants ne peuvent prendre sa place en regard du testament. Dès lors qu'elles sont toutes disparues avant la tante Hortense, le testament devient muet sur la destination de ses biens. C'est donc le Code civil qui décide à sa place.

Code civil volubile

C'est ici que les choses se corsent. Pour une succession légale, c'est-à-dire en en l'absence de testament, le Code civil définit trois ordres de succession. Le premier concerne les descendants et le conjoint du défunt.

Première question à poser : « La défunte laisse-t-elle des enfants ? »

Si la tante Hortense avait plongé des enfants et un conjoint dans le deuil, celui-ci aurait eu droit au tiers de la succession, et ses enfants se seraient partagé les deux autres tiers. Elle laisse des enfants mais aucun conjoint ? Ses rejetons se partagent alors toute la succession.

Mais si le défunt n'a eu aucun enfant, ce qui est le cas de tante Hortense, on passe au second ordre de dévolution.

Prochaine question de notre notaire dans ce parcours logique : « Laisse-t-elle un conjoint ? »

Si ça avait été le cas, celui-ci aurait partagé la succession avec les autres figurants du deuxième ordre : avec les parents de tante Hortense, ou à défaut, avec les frères et soeurs de la chère dame.

Mais tante Hortense n'avait pas de conjoint non plus. Ce qui amène Me Archambault à un autre carrefour : laisse-t-elle des ascendants privilégiés, ce que les non-initiés appellent couramment un papa et une maman ? Si oui, l'héritage est partagé pour moitié entre ses parents, pour l'autre moitié entre ses frères et soeurs. Elle n'avait pas de frère ou soeur ? Tout échoit aux parents.

Constatation amusée de notre notaire pour exclure cette avenue : « À l'âge qu'elle avait, il n'y a plus d'ascendant. » En effet, il aurait fallu une santé digne des patriarches de l'Ancien testament pour que les parents de notre centenaire soient encore vivants.

À défaut de descendants, de conjoint et de parents, tous les biens de tante Hortense sont dévolus aux collatéraux privilégiés, mieux connus sous le nom de frères et soeurs et neveux et nièces de la défunte.

Cette succession sera divisée en parts égales, « par tête » dit-on, c'est-à-dire en autant de parts que de frères et soeurs. Si l'un de ceux-ci est déjà disparu, sa part est divisée entre ses enfants.

Or, on le sait, les frères et soeur de la tante Hortense l'ont tous précédée dans la mort, ce qui est la cause du débat.

(Note : la partie qui suit a été corrigée par rapport à l'article paru dans le journal La Presse du 20 mars. Me Archambault a révisé l'opinion qu'elle avait alors émise.)

Tout l'héritage de la tante est donc partagé parmi les autres collatéraux privilégiés, soit ses neveux et nièces. Ce partage sera d'abord effectué « par souche », c'est-à-dire en autant de parts que la tante Hortense avait de frères et soeurs, dans la mesure où chacun d'entre eux a laissé au moins un enfant ayant survécu à l'aïeule. Donc, 11 parts de 65 000 $ si les 11 frères et soeurs laissent tous des enfants vivants.

Chaque part sera ensuite divisée également entre les neveux et nièces issus de cette souche. Ainsi, si l'oncle Théophraste, frère d'Hortense, a laissé trois enfants, chacun aura le tiers de 65 000 $, c'est-à-dire 21 666 $. C'est bien, tout de même.

Difficulté supplémentaire : au moins une des nièces de la tante Hortense était déjà décédée à la mort de celle-ci. Aïe aïe aïe. Sa part s'ajoutera à celle de ses frères et soeurs. Si tous les neveux et nièces d'une souche ont disparu avant tante Hortense, cette souche s'efface et la succession est divisée entre autant de souches restantes.

Bref, il faut connaître toute la structure de la famille pour savoir de combien héritera chaque neveu et nièce.

Petite mise en garde : ceci n'est pas une opinion juridique, mais une description sommaire des mécanismes de dévolution, sur la base de l'exemple de notre lectrice.

Et petit conseil : « Ne laissez pas traîner votre testament pendant autant d'années sans le réviser, avise Me Archambault. Parce qu'elle n'a pas pris ce soin, la tante se retrouve avec des héritiers qu'elle n'avait pas choisis. »

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LA SITUATION

La tante de notre lectrice est décédée, sans conjoint ni enfant. Dans son testament rédigé en 1998, elle léguait tous ses biens à ses cinq soeurs encore vivantes alors, et toutes décédées depuis. La tante laisse 31 neveux et nièces. Qui hérite des 715 000 $ ?

L'ANALYSE

Le testament étant muet, c'est le Code civil qui décide. Un long parcours logique nous mène à cette conclusion : l'héritage est divisé en autant de parts que tante Hortense avait de frères et soeurs laissant des enfants vivants. Les enfants de chacun de ceux-ci se divisent cette part en portions égales.

« Si les frères et soeurs n'avaient pas tous été du même lit, ça aurait été encore plus compliqué. »

Denise Archambault, notaire