Les investisseurs piétinent depuis 10 ans Les Canadiens ont pompé 130 milliards de dollars dans l'industrie des fonds communs de placement, au cours de la dernière décennie. Ils espéraient réaliser de meilleurs rendements qu'avec les traditionnels dépôts bancaires. Mauvais calcul! Dans bien des cas, les détenteurs de fonds auront fait moins d'argent que le gestionnaire qui s'occupait de faire fructifier leurs épargnes.

Bien des investisseurs ont l'impression que leurs fonds communs de placement piétinent depuis dix ans. Ce n'est pas une illusion!

Sur la décennie, plus du quart des fonds communs sont dans le rouge, révèlent les statistiques de fin d'année, diffusées cette semaine par la firme d'évaluation de fonds Morningstar Canada. En fait, on dénombre actuellement 1475 fonds qui ont un historique d'au moins 10 ans. De ce nombre, 396 affichent un rendement négatif sur 10 ans, soit 27% du total.

> Voir le tableau des fonds

Toutes catégories confondues, les fonds ont dégagé un rendement annuel composé d'à peine 2,3% sur 10 ans. Ce rendement est même inférieur au ratio de frais de gestion, soit le pourcentage de frais prélevé chaque année, qui se chiffre à 2,4% pour la moyenne des fonds.

Autrement dit, les investisseurs ont fait moins d'argent que les gestionnaires qui s'occupaient de faire fructifier leurs épargnes depuis 10 ans. «Cette statistique n'est pas nécessairement représentative. Il faut regarder par catégorie», nuance Christian Charest, analyste chez Morningstar.

Parmi les 10 plus grandes catégories de fonds, celles qui contiennent le plus d'actifs, le portrait est moins sombre. Seuls les fonds d'actions mondiales et les fonds équilibrés mondiaux ont livré des rendements inférieurs aux frais prélevés.

Par contre, le constat est très dur pour les fonds spécialisés et les fonds d'actions étrangères. Ils ont grugé de copieux frais de gestion (facilement 2,8%) même si leur rendements sont négatifs sur 10 ans: sciences et technologies -11% par année, Japon –9%, États-Unis -6%, Asie-Pacifique -4%, Europe -3%.

Et pourtant, ce ne sont pas les frais qui frustrent le plus les détenteurs de fonds. C'est plutôt de réaliser qu'ils auraient fait plus d'argent en restant cantonnés dans des dépôts garantis.

«Les investisseurs ont été mis à rude épreuve», admet Sylvain De Champlain, président de De Champlain services financiers. «C'est la première fois depuis la crise de 29 qu'on a des rendements si bas sur 10 ans. C'est très inhabituel et on risque de ne jamais revoir ça.»

Une part du blâme

Reste que les investisseurs ont quand même fait des sous. Depuis dix, ils ont pompé 130 milliards dans les fonds, révèlent les statistiques diffusées hier par l'Institut des fonds d'investissement du Canada (IFIC). Comme la taille de l'industrie a gonflé de 358 milliards à 595 milliards, en dix ans, c'est donc dire que le reste de l'augmentation (107 milliards) est venue de l'appréciation des marchés.

Il faut dire aussi que les investisseurs ont une part du blâme à porter. Leur propre comportement mine leur performance. Soit qu'ils vendent en panique lorsque la Bourse s'effondre, comme en 2002 et en 2008. Soit qu'ils achètent les fonds vedettes des années précédentes. Ce faisant, ils arrivent au sommet de la vague, et se font ensuite emporter par le ressac.

«Même si un fonds a connu un rendement de 2% sur 10 ans, l'investisseur moyen a probablement un rendement négatif», estime Jean-René Ouellet, analyste principal au groupe conseil en portefeuille de Valeurs mobilières Desjardins.

Il cite une étude de Dalbar qui démontre que sur une période de plus de 20 ans, l'investisseur moyen n'a fait que 2,6% par an, alors que le fonds communs moyen avait progressé de 9,3%, et la Bourse de 12,2%.

«C'est choquant! C'est comme avoir un billet de train pour Québec, mais descendre à Drummondville», dit M. Ouellet.

Les champions de la décennie

> L'or remporte... l'or! L'or est passé de moins de 300$US à plus de 1100$US pendant les années 2000. Pas étonnant que les fonds d'actions de métaux précieux forment la catégorie gagnante, sur 10 ans, avec un rendement annuel composé de 18,5%. Et c'est le fonds RBC mondial métaux précieux qui est le grand champion des fonds, toutes catégories confondues, avec un spectaculaire rendement annuel de 27%.

> Une médaille d'argent pour le Canada. La Bourse canadienne a beaucoup mieux fait que celle des autres pays. «C'est ce qui nous a sauvé!», lance Sylvain De Champlain. Les investisseurs ont été particulièrement gâtés avec les fonds de dividende. Malgré la culbute des actions des banques en 2008, les fonds d'actions canadiennes de revenu ont procuré un rendement annuel de 7% sur 10 ans. Très décent.

> Les gestionnaires de CI se partagent le bronze. Gerry Coleman s'est vu décerner le titre de gestionnaire de la décennie, par le Globe and Mail. Prudent, il bat quand même la Bourse à plates coutures, avec le rendement annuel de 8,8% sur 10 ans de son fonds CI Harbour. «C'est un chasseur d'aubaines qui maîtrise parfaitement la gestion de l'encaisse», note Fabien Major, de Major Gestion d'actifs. En conservant 40% de son portefeuille en argent, il a esquivé la dégringolade en 2008.

Son confrère Eric Bushell mérite aussi des éloges. Morningstar vient de le nommer gestionnaire d'actions de l'année. Son fonds CI Signature sélect canadien affiche le plus fort rendement de sa catégorie sur 10 ans. C'est un as du momentum, qui dépiste comme nul autre les secteurs porteurs, dit M. Major.

>Mention spéciale aux mastodontes. Chapeau aux mastodontes! Parmi les 25 plus gros fonds de l'industrie, la vaste majorité sont des premiers de classe: 19 d'entres-eux affichent un rendement de premier quartile sur 10 ans. Plusieurs figurent même parmi les grands champions de la décennie, dans leur catégorie (voir le tableau): TD Obligations canadiennes I, RBC revenu mensuel, Mac Cundill valeur, CI Signature revenu élevé.

Et les prix citron

> La techno. «En 1999, toutes les familles de fonds lançaient des fonds spécialisés en techno ... six mois avant que la bulle spéculative éclate», rappelle M. De Champlain. C'était le pire endroit où investir. Depuis 10 ans, ces fonds ont perdu 11% annuellement, ce qui en fait la pire de toutes les catégories de fonds.

> Le Japon. Sur dix ans, les fonds d'actions du Japon se classent en avant-dernière position, juste derrière la techno, avec un recul annuel de 9%. Mais sur 20 ans, ils sont les champions incontestés de la dégringolade, avec un recul annuel composé de 4%, alors que toutes les autres catégories sont positives.

> Altamira. La société qui a surfé sur les modes tout au long de la décennie, mérite un prix citron «pour l'ensemble de son oeuvre», dit M. Major. Mais son fonds de science et technologie s'illustre avec son rendement annuel composé de -13%. Si vous aviez investi 1000$, il ne vous resterait plus que 244$. Ouf!

> Mavrix canadien de croissance. Les chiffres parlent d'eux-mêmes: avec un rendement annuel de -21,5%, c'est le pire fonds de la décennie, et de loin! Le fonds s'est écroulé après la bulle techno. Et depuis 2005, le nouveau gestionnaire a réussi à empirer la situation. Un placement de 1000$ n'en vaut plus que 89$. Malgré tout, le fonds prélève des frais salés de 3,5% pour sa «déconfiture ajoutée», note M. Major.

> AIC avantage universel. La firme mise sur le long terme. Elle conseille d'emprunter pour «surinvestir» afin de multiplier son rendement. Son slogan: «Achetez. Patientez. Riez». Avec un rendement annuel de -11%, sur 10 ans, il y a plutôt de quoi pleurer.