Une lectrice âgée de 71 ans songe à souscrire une rente viagère, pour s'assurer un revenu minimal jusqu'à la fin de ses jours - aussi tardive que puisse être cette issue certaine.

«Que penser des OEuvres de charité du cardinal Léger qui promettent une rente très avantageuse, accompagnée de reçus de charité pour déduction d'impôts?» nous demande-t-elle.

Bonne question.

Commençons par décrire la chose. En retour d'une somme d'argent donnée à l'OEuvre Léger, l'organisme verse au donateur une rente jusqu'à son décès. «C'est un capital cédé définitivement et irrévocablement», indique Marcelle Gravel, directrice des dons majeurs et planifiés.

Le montant de la rente dépend évidemment de l'ampleur du capital, mais aussi des probabilités qu'elle soit versée longtemps. En d'autres mots, de l'âge et du sexe du donateur - on sait que les femmes vivent plus longtemps que les hommes.

Chez l'OEuvre Léger, comme chez la plupart des oeuvres de charité, cette rente est exprimée sous forme de taux en fonction de l'âge, question de faciliter la compréhension. Selon les taux affichés à la mi-décembre, un homme de 70 ans touchera une rente annuelle équivalant à 7% du capital qu'il a cédé. Si ce don est de 20 000$, la rente annuelle s'établira donc à 1400$, maintenue telle quelle jusqu'au décès du crédirentier. S'il a 75 ans au moment de la souscription, le taux sera de 8,5%, car la rente sera vraisemblablement versée moins longtemps.

Pour une femme du même âge, les taux sont moins élevés (6% à 70 ans et 7,5% à 75 ans), parce qu'elle a davantage de chances de vivre plus longtemps. «Ça choque les gens», signale à ce propos Marcelle Gravel, mais les statistiques et les probabilités sont insensibles à l'humeur.

Pour les contrats souscrits à partir de 83 ans, les taux sont fixés à 10%, tant pour les hommes que pour les femmes.

Chez l'OEuvre Léger, le don minimal est de 1000$. «La moyenne est de 20 000$», précise Mme Gravel. Le plus jeune de leur crédirentier a 49 ans, et la plus âgée, 109 ans. Optimiste, elle a acheté sa rente à 99 ans.

Comparons avec une rente viagère ordinaire

Comment une rente viagère de bienfaisance se compare-t-elle à une rente viagère ordinaire, vendue par une compagnie d'assurance vie?

Tout d'abord, au contraire de la rente traditionnelle, on ne peut acheter une rente de bienfaisance directement avec son REER. Voilà qui règle déjà le dilemme de notre lectrice, qui songeait à y employer une partie de ses épargnes enregistrées.

Les rentes viagères de bienfaisance sont prescrites, c'est-à-dire que la partie imposable de la rente, habituellement plus grande au départ et dégressive ensuite, est étalée également sur tous les versements. Cette procédure réduit habituellement la facture fiscale.

La rente de bienfaisance ne peut être assortie d'une garantie, qui assurerait qu'une somme serait versée aux héritiers si le crédirentier décédait précocement. Le bienfaiteur meurt dans un accident six mois après la souscription? La rente cesse d'être versée. Point final.

Par contre, comme pour une rente viagère d'assureur vie, un couple peut acheter une rente réversible, c'est-à-dire qui continue à être versée au conjoint survivant si le crédirentier décède.

Les oeuvres, oui, les fondations, non

Les oeuvres de bienfaisance peuvent offrir des rentes viagères, mais non les fondations. La différence? «L'oeuvre de bienfaisance exerce ou gère des activités de bienfaisance, explique Martin Massé, expert conseil en dons planifiés. La fondation recueille de l'argent et le distribue. Mais ce qui est trompeur, c'est que la Fondation québécoise du cancer est une oeuvre, parce qu'elle exerce des activités de bienfaisance.»

Pour sa part, l'OEuvre Léger confie à Jarislowsky Fraser le soin de gérer les placements effectués avec le capital cédé par les crédirentiers. Les rentes sont établies par une firme d'actuaires.

Plusieurs organismes à vocation religieuse procèdent de cette manière - Missions étrangères, Pères blancs, ou l'Oratoire Saint-Joseph, par exemple. Le pionnier au Canada est l'Armée du Salut.

Mais toutes les oeuvres de bienfaisance n'ont pas les reins suffisamment solides pour assumer ce risque elles-mêmes, indique Martin Massé. Certaines sonderont plutôt le marché des assureurs vie pour obtenir la meilleure rente viagère possible avec les 80% du capital cédé qui ne constituent pas le don proprement dit. L'organisme achète lui-même la rente, dont le donateur est le bénéficiaire.

C'est un don de bienfaisance

Lorsque vous achetez une rente viagère de bienfaisance, vous recevez, pour l'année du don, un reçu aux fins de l'impôt pour un minimum de 20% du capital cédé. «L'assureur vie, lui, ne vous donne pas de reçu», fait valoir Marcelle Gravel. Pour de bonnes raisons: alors que l'assureur vie consacre l'entièreté du capital à la rente viagère de son client, l'oeuvre de bienfaisance, pour sa part, en utilise une partie pour ses activités caritatives. Pour un même capital, une rente de bienfaisance sera donc inférieure à une rente viagère ordinaire de même type. Rien d'anormal. La rente viagère de bienfaisance a précisément un objectif... de bienfaisance. Mais telle doit être notre intention.

«Le reçu est toujours égal au capital versé moins le coût d'une rente similaire émise par un tiers indépendant, donc une compagnie d'assurance vie», explique Martin Massé. Si le donateur a plus de 80 ans au moment de sa souscription, le taux de la rente de bienfaisance est généralement plafonné à 10%. En cédant 100 000$, il toucherait donc une rente annuelle de 10 000$. Si une rente de 10 000$ sur le marché lui coûte 70 000$, il reçoit donc un reçu d'impôt de 30 000$.

Le site internet de l'OEuvre Léger signale que «vous profitez de taux supérieurs à ceux des placements traditionnels». Sans doute, mais encore faut-il comparer des comparables.

«Il faut se méfier de la publicité à la radio parce qu'ils vont comparer les taux des certificats de placement avec le taux des rentes, prévient Martin Massé, expert conseil en dons planifiés. Ce qui est trompeur, c'est que quand on prend une rente, le capital est cédé définitivement, alors qu'avec un certificat de placement, on a toujours son capital.»

Faire la même chose autrement

On peut obtenir le même résultat autrement. Vous avez un capital de 100 000$? «Vous allez chez votre courtier en assurance vie et vous lui demandez une rente pour 80 000$, décrit Martin Massé. Vous allez ensuite chez votre organisme de bienfaisance préféré et vous lui faites un chèque de 20 000$. C'est exactement la même chose.» Vous recevrez un reçu d'impôt pour les mêmes 20% que si vous aviez acheté une rente viagère de bienfaisance. De cette façon, vous pouvez faire un don équivalent à une rente de bienfaisance auprès d'une fondation qui ne peut en proposer.

La planificatrice financière et actuaire Nathalie Bachand a fait l'exercice. Chez l'OEuvre Léger, un capital de 100 000$ procurerait à une femme de 70 ans une rente annuelle de 6000$ (6% X 100 000$). La portion considérée comme un don, soit 22% du capital cédé dans ce cas précis, procure un reçu de 22 000$. La part consacrée à la rente équivaut donc à 78 000$.

Nathalie Bachand a obtenu une cotation pour une rente prescrite achetée avec un capital de 78 000$, destinée à une femme de 70 ans. «Cela donne une rente d'environ 6500$ par année, incluant un montant imposable autour de 1440$», indique-t-elle.

Sa conclusion: dans notre exemple, il y aurait un léger avantage à faire un don de 22 000$ à l'OEuvre Léger et à souscrire une rente de 78 000$ auprès d'un assureur vie, d'autant plus que le risque serait moins élevé.

«La situation peut être différente selon les âges, le sexe et le moment de l'achat de la rente et des taux du marché, prévient-elle toutefois. Je conseillerais aux gens de faire des cotations avant l'achat d'une telle rente.»

Rappelons-le: on souscrit une rente viagère de bienfaisance parce que l'oeuvre en question nous tient à coeur. Et peut-être aussi pour s'assurer une certaine paix de l'esprit...