Sur une énorme presse-plieuse, Joey forme une plaque d'acier au profil crénelé. Six angles, autant de plis. «Il y a une séquence de plis, en positif et en négatif», commente Jean LeChasseur, directeur général de Formétal. «Certains n'ont pas cette perception spatiale.»

Joey est un des 30 jeunes qui apprennent les rudiments du travail du métal dans cette entreprise de réinsertion sociale, où ils passeront six mois. La pièce d'acier qu'il façonne constituera le support mural d'une triple poubelle de récupération, dont l'Université de Sherbrooke a confié la fabrication à Formétal. «On avait entendu parler de leurs réalisations et de la façon dont ils travaillent en réinsertion sociale, et on trouvait que ça donnait une valeur ajoutée à notre projet», a expliqué Patrice Cordeau, conseiller en environnement et développement durable.

Pour la conception de cette poubelle, Formétal s'est tournée vers Cynthia Gauthier, designer fraîchement émoulue de l'École de design de l'environnement de l'UQAM.

Le prototype est installé sur un mur de l'atelier: trois poubelles de section rectangulaire, chacune couverte par un capuchon au dessus incliné, pour éviter qu'on y dépose objets ou déchets. L'interstice qui sépare le capuchon de la poubelle s'élargit sur l'avant pour former une ouverture oblongue, ronde ou carré, selon qu'elle reçoit du papier, du plastique et du métal ou des déchets.

La designer tire sur un des contenants, qui bascule sur un pivot situé à sa base. Il s'incline tout juste assez pour dégager le capuchon, resté fixé au support. L'employé pourra ainsi facilement retirer sa doublure de carton - poubelle interne réutilisable, qui remplace les sacs jetables. En position fermée, une longue bande magnétique maintient fermement chaque poubelle contre son support. Simple, efficace.

C'est le deuxième projet de Cynthia Gauthier pour Formétal. L'hiver dernier, alors qu'elle achevait ses études, elle a collaboré à la conception de la poubelle urbaine City, avec l'Atelier de design et proximité de l'École de design de l'UQAM, sous la gouverne des professeurs André Desrosiers et Koen de Winter.

L'arrondissement du Sud-Ouest avait demandé à Formétal de réactualiser la poubelle qu'elle fabriquait depuis plusieurs années. Rémunérée par l'Atelier - mais sans frais pour Formétal -, Cynthia Gauthier a dessiné une poubelle à cinq facettes, accrochée à un rail ajustable, contre un poteau ou un mur. Ce rail maintient un mince capuchon à quelque 15 cm au-dessus de la poubelle, comme une casquette perpétuellement levée. On jette les déchets par l'ouverture qui les sépare.

Pour vider la poubelle, l'éboueur la décroche avec un petit tour de main, tout simple mais suffisant pour compliquer la vie des malfaiteurs. Et d'ailleurs, à quoi servirait-elle? Les concepteurs ont prévu un fond à angle, qui empêche la poubelle de se tenir droite si elle est déposée au sol.

Les poubelles sont assemblées par soudage puis revêtues d'une peinture en poudre électrostatique dans l'atelier de Formétal.

«En concevant les pièces, décrit Cynthia Gauthier, il fallait le plus possible garder en tête qu'elles seraient fabriquées ici, avec l'équipement disponible.» La nouvelle machine à poinçonner numérique que Formétal vient de se procurer en est un exemple. Jean LeChasseur n'a pas cherché une machine «Star Wars», dit-il, qui serait entièrement automatisée. «On ne voulait pas que le jeune soit inactif autour de la machine, explique-t-il. On veut des équipements qui vont permettre aux jeunes d'apprendre.» Car cette entreprise de réinsertion sociale doit maintenir un délicat équilibre entre sa mission de formation et les impératifs de rentabilité communs à toutes les entreprises.

Tous en profitent. «Depuis un an, pour mon niveau de connaissance, c'est le jour et la nuit», assure Cynthia Gauthier.

«Et nous, on sait maintenant qu'on peut faire des choses très chouettes», ajoute Jean LeChasseur.

L'apprentissage est une vocation, chez Formétal.