La Bourse est sortie du ravin sur les chapeaux de roue. Attachez vos ceintures: depuis le creux du 9 mars 2009, les actions ont explosé de 45% au Canada et de 53% aux États-Unis. Les marchés qui avaient déboulé de plus de 50% avec la crise du crédit, ont donc récupéré la moitié de leurs pertes, en six mois seulement.

Du côté américain, les investisseurs n'ont jamais vécu ont rebond aussi extraordinaire, sauf en 1933 alors que la Bourse se relevait de la Grande Dépression. Par contre, les investisseurs canadiens ont déjà connu d'autres accélérations aussi rapides, notamment au sortir de la récession de 1981-82. L'indice de la Bourse de Toronto avait bondi de 56,8% au cours de la période de six mois terminée le 10 janvier 1983, a calculé Pierre Lapointe, stratège adjoint à la Financière Banque Nationale.

Et après cette progression fulgurante, la Bourse avait poursuivi sa route pendant près de cinq ans, soit jusqu'au krach de 1987.

Qu'en sera-t-il cette fois-ci? En filant à vive allure, la Bourse risque-t-elle de frapper un mur?

Les moteurs de la Bourse

Certains investisseurs ont encore la frousse en regardant dans le rétroviseur. Ils n'arrivent pas à croire que la Bourse soit repartie si vite. Après tout, le système financier était au bord de l'implosion l'année dernière.

«On est passé très près de tomber dans l'abysse. On a failli retourner au troc!» ironise Luc Girard. «Mais on a été capable de sauver le capitalisme», enchaîne le directeur du groupe de conseil en portefeuilles, chez Valeurs mobilières Desjardins.

Les gouvernements et les banques centrales ont tout fait pour éviter une réédition de la Grande Dépression, en injectant de l'argent dans l'économie, en épaulant des sociétés en détresse et en abaissant les taux d'intérêt.

Les politiques fiscale et monétaire ont fonctionné, constate Carlos Leitao, économiste en chef chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne.

À preuve, les taux hypothécaires se sont stabilisés, de même que les banques. Elles ont même recommencé à dégager des profits et à rembourser l'argent allongé par la Fed, indique M. Leitao.

L'industrie automobile a aussi repris des forces. Les primes à la casse pour la mise au rancart des véhicules d'occasion ont fait rebondir les ventes de véhicules neufs cet été. «On approche du rythme annualisé de 14 millions d'unités par mois, alors qu'on roulait autour de 10 millions d'unités jusqu'en avril dernier», note M. Leitao.

La reprise de la production industrielle se dessine. D'ailleurs, l'indice ISM manufacturier a dépassé la barre des 50 points, au mois d'août, ce qui indique généralement une expansion du secteur manufacturier américain.

Tout indique que la récession tire à sa fin. L'OCDE s'attend à ce que les pays industrialisés du G7 retrouvent la croissance dès le troisième trimestre, actuellement en cours.

Dans ce contexte, la remontée boursière n'a rien d'étonnant. Historiquement, la Bourse canadienne perd 23 % à partir du début d'une récession, mais rebondit ensuite de 18 % à partir de son creux jusqu'à la fin de la récession, expose M. Lapointe. La tendance a été la même, cette fois, mais l'ampleur a été plus forte.

Des obstacles sur la route

Néanmoins, certains jugent que la Bourse est allée trop haut, trop vite. «Les marchés financiers sont en train d'anticiper une reprise économique extrêmement rapide. Oui, il y aura une reprise, mais elle sera lente et hésitante», prévient M. Leitao.

Il ne s'attend pas à une autre hécatombe: «Les probabilités d'une nouvelle descente aux enfers sont très minces», dit-il.

Mais il craint que les investisseurs soient déçus. «Nous avons vécu une crise sans précédent qui aura des conséquences. Ce n'est pas raisonnable de penser que tout va revenir comme avant», dit M. Leitao. À son avis, les investisseurs doivent s'habituer à des rendements plus faibles.

Il faut dire qu'il reste encore des obstacles sur la route. La confiance des consommateurs, le marché de l'emploi et l'immobilier restent encore chambranlants.

Jusqu'ici, les gouvernements ont combattu la récession à coups de milliards, mais l'économie retombera-t-elle en panne quand les États prodigues retireront leurs stimuli ? Et, à l'inverse, les banques centrales vont-elles réveiller l'inflation en gardant trop longtemps les taux d'intérêt au plancher ?

L'accélérateur sur les ressources

Qu'à cela ne tienne, ce n'est pas le moment de donner un coup de frein, dit Pierre Lapointe.

«La Bourse n'est pas rendue à un niveau trop élevé. Les actions sont à un ratio de 14 fois les bénéfices de 2010. En moyenne, le ratio monte jusqu'à 16, un an après une récession. Il y a encore place à l'expansion», assure le stratège.

Il favorise donc les ressources naturelles, soit l'énergie et les matériaux (à l'exception de l'or), car ce sont les secteurs qui profitent le plus du cycle de reprise économique.

Il conseille aussi dans la consommation discrétionnaire et la technologie, plutôt du côté américain.

D'ailleurs, il recommande de surpondérer les actions des sociétés américaines, car ce sont elles qui profiteront le plus l'assainissement des conditions de crédit. Aux États-Unis, les entreprises dépendent beaucoup des marchés financiers pour se financer, tandis qu'en Europe, les sociétés se financent davantage à l'aide d'emprunts bancaires.

Luc Girard mise aussi sur les secteurs cycliques. «La reprise est à nos portes, on ne fait que débuter le cycle économique. Je ne pense pas que le marché surchauffe», dit-il.

Dans l'énergie, il pointe les titres de Nexen, Talisman Energy et Transocean, une entreprise qui détient 35% des parts de marché en eaux profondes, «un plus quand on sait que les réserves de pétrole faciles à exploiter se raréfient», dit-il.

Côté matériaux, il favorise Alcoa dans l'aluminium, Westshore Terminals dans le charbon, et Thompson Creek Metals dans le molybdène, une matière qui permet de durcir l'acier, très en demande en Chine pour la construction d'édifices en hauteur qui nécessitent des matériaux très résistants.

La pédale douce sur les banques

D'autre part, M. Girard met la pédale douce sur les secteurs défensifs. «Avec l'inflation qui reviendra éventuellement dans le portrait, il faut éviter les services publics, dont les actions font généralement moins bien dans un contexte de remontée des taux d'intérêt», dit-il.

Bémol aussi pour les actions des banques canadiennes qui ont pratiquement doublé en six mois. Leur taux de dividende reste alléchant : 4,4% contre 2,7% pour les banques ailleurs dans le monde, note M. Lapointe. Mais les investisseurs paient les actions deux fois plus cher : leur ratio cours/valeur comptable a atteint 2,1, presque le double du ratio des banques dans les autres pays.

«Je pense qu'il faut prendre des profits, dit M. Girard, sans sortir complètement du secteur financier.»