Quand il touche à un produit, l'effet s'en fait vite sentir.

Il s'appelle Michel Swift. Vous ne le connaissez pas. C'est un des designers industriels les plus expérimentés et les plus respectés au Québec. S'il travaillait en Italie, le public se rappellerait probablement son nom. Les industriels aussi, à plus forte raison. (Ce n'est pas ce discret créateur qui le dit.)

Mais ici, malgré ses 31 ans de métier, la reconnaissance n'est jamais gagnée, les mandats sont toujours durement récoltés. Pourquoi? Marché restreint. Méconnaissance du rôle du designer industriel. Et aléas de la vie, aussi...

 

Paradoxalement, un de ses derniers projets a été réalisé pour une entreprise de New York. La firme Dangerous Music lui a confié la conception d'une télécommande pour la production sonore stéréophonique ou d'ambiance. Un ami musicien avait établi le lien.

Ce petit clavier en arc de cercle, tendu entre deux points d'appui, est muni d'une trentaine de boutons lumineux. Il est usiné dans un bloc d'aluminium, «comme Apple fabrique actuellement ses ordinateurs portables», précise Michel Swift.

Le designer a fait fabriquer un prototype fonctionnel pour présenter le concept aux responsables de l'entreprise. «Ils étaient ravis, raconte-t-il. C'est une petite forme courbe qui se tient bien sous la main, qui se dépose sur les genoux ou sur la console. C'est inusité.»

Bref, ils ont écarquillé les yeux. C'est généralement l'effet que produisent les projets de Michel Swift Design.

Mais comment avait-il d'abord convaincu ces Américains de lui donner ce mandat? En leur montrant des projets électroniques et médicaux qu'il avait réalisés au fil des ans. Notamment un stéthoscope - le premier 100% électronique au monde - auquel il avait travaillé au début des années 90. Lui et son associé d'alors avaient eu vent du projet de chercheurs québécois. Ils se sont proposés pour procurer une forme et des fonctions à ce qui n'était encore qu'un assemblage hétéroclite de fils et de circuits. Ils n'avaient qu'une chance de faire une bonne première impression, et ils ne l'ont pas ratée. Lors d'un repas d'affaires aux allures de quitte ou double, les deux designers ont dévoilé une maquette préliminaire.

Les clients ont écarquillé de grands yeux.

On trouve dans ce stéthoscope un petit exemple des solutions élégantes et fonctionnelles, typiques de Swift. Les deux branches des oreillettes sont moulées dans un plastique à effet de mémoire, qui procure l'action de ressort nécessaire au maintien de l'appareil sur la tête. Cette tension est ajustable grâce à un manchon fileté qui, s'élevant ou s'abaissant à la base des branches, en augmente ou en diminue le pincement.

 

Photo fournie par Dangerous Music

Le concept a été cédé à Hewlett-Packard, qui l'a mis en production.

Entre 2003 et 2007, Michel Swift a revampé l'image, les locaux et les produits du fabricant de meubles québécois Québéco. Les meubles à assembler Azura (une nouvelle marque mieux accueillie aux États-Unis et dans l'Ouest) ont surpris par leur simplicité, leur solidité, leur élégance.

Les ventes ont bondi de 40% en un an. Les dirigeants ont écarquillé de grands yeux. Trop grands, peut-être: l'entreprise a déposé son bilan en 2007 pour mauvaise gestion.

Pour Michel Swift, trois années de travail se sont évaporées. «On a perdu une partie de nos honoraires», déplore-t-il.

Mais il n'abandonne pas. «On ne peut pas attendre que le téléphone sonne, dit-il. Il faut créer les occasions.»

C'est ce qu'il a fait. En 2007, avec sa conjointe, la designer d'intérieur Geneviève Cyr, il a ouvert la boutique Jamais assez, sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal. Ils se sont donné la vocation d'offrir les (trop rares) produits conçus et fabriqués par des designers industriels québécois.

On y voit les premiers modèles d'une nouvelle collection de meubles vivement colorés que Michel Swift a entrepris de mettre en production: des bibliothèques pour conserver ses précieux magazines National Geographic - jaunes, comme il se doit.

Entre-temps, il sème patiemment les prochains mandats.

Photo fournie par Dangerous Music