«Avez-vous déjà essayé d'ouvrir une bouteille de shampoing Fructis de Garnier quand vous avez les mains mouillées sous la douche?»

Notre lectrice a vécu l'expérience... «C'est tellement difficile que je me suis même blessée à un doigt! écrit-elle. Aucune prise sur cette petite boule verte qui résiste farouchement! Je n'osais pas le dire de peur d'avoir l'air un peu gourde, jusqu'à ce que ma fille pousse un cri de rage l'autre matin... pour la même raison!»

 

La bouteille qui se fait ainsi passer un savon est fermée par un clapet, monté sur charnière et muni d'une boule protubérante. D'un vert contrastant avec celui plus clair du contenant, cette boule est à la fois la signature du produit et le point d'appui pour ouvrir le clapet. Quand il daigne céder, le doigt risque de heurter l'arête vive sous cette boule.

«À quoi pensent donc les gens qui imaginent ce genre de design? demande la lectrice. Je serais curieuse de savoir si les petits malins qui ont conçu ce design ont essayé leur trouvaille sous la douche!»

En effet, il faut se mouiller. C'est ce qu'a fait Sylvain Allard, professeur de graphisme et d'emballage à l'UQAM, qui s'est rendu dans la plus proche pharmacie afin d'inspecter le contenant. «J'ai essayé plusieurs bouteilles et certaines sont plus serrées que d'autres, reconnaît-il. La seule fonction de la boule est de permettre au doigt de pousser; en raison de sa rondeur, cependant, ça joue l'effet inverse. Le doigt glisse. Ce n'est pas un bon design.»

Deuxième opinion? Consultation d'un spécialiste en moulage de plastique.

Michel Labonté, coordonnateur du département de plasturgie au collège Ahuntsic, est lui aussi allé manipuler l'objet de la discussion. Il est moins sévère à l'égard de l'ergonomie du bouchon. «La boule aide à l'ouverture du bouchon, peut-être davantage que le design avec la languette en saillie des bouchons plus standard, indique-t-il. Mais d'un autre coté, la forme ronde favorise le glissement, surtout avec du savon sur les mains.»

Or, nous a-t-il appris, il existe au Québec un fabricant spécialisé en bouchons, établi à Waterloo depuis 1932. Quand nous avons évoqué l'insatisfaction d'une consommatrice à l'égard de la bouteille de Fructis, Lisa-Marie Decelles, directrice de l'innovation chez Plastiques Berry Canada, a immédiatement mis le doigt sur le bobo: «On ne peut pas bien s'agripper pour ouvrir ce bouchon-là.»

Il faut en effet pouvoir exercer un effort suffisant pour débloquer le clapet. «Les forces d'ouverture sont une caractéristique de performance de ces capsules-service», indique-t-elle. Selon les exigences du client, la pression nécessaire à l'ouverture peut être graduée d'une à six livres.

L'entreprise de Waterloo a conçu récemment un nouveau bouchon à clapet qui se caractérise justement par son ergonomie. Une dépression permet de déposer le pouce, lui offrant plus d'espace pour pousser sur une protubérance doucement arquée, moulée sur le clapet.

Le clapet doit être difficile à ouvrir pour les jeunes enfants? La firme vient de mettre au point un nouveau bouchon breveté. Il faut presser de part et d'autre du bouchon, sur les endroits identifiés, pour le déformer et ainsi dégager un loquet.

Eh oui! Le bouchon est un art.