Le trou de 40 milliards dévoilé cette semaine par la Caisse de dépôt et placement du Québec met de nouveau en lumière les risques liés aux régimes de retraite des sociétés canadiennes. Pour les investisseurs qui naviguent en eau trouble depuis plus d'un an, il s'agit d'un écueil de plus qui pourrait couler leurs rendements.

«Avec les résultats de la Caisse, il y a des lumières rouges qui vont s'allumer. Cela va entraîner beaucoup de questionnements sur la situation des autres régimes de retraite», estime Luc Fournier, gestionnaire d'actions canadiennes à l'Industrielle Alliance.

 

Sauf exception, les régimes de retraite seront tous dans le rouge pour 2008. Et, dans le cas des régimes à prestations déterminées, «ce sont les actionnaires qui vont supporter la baisse qui va se refléter dans le prix des actions», indique Michel St-Germain, actuaire chez Mercer Canada.

Frappés sur deux fronts

Les régimes de retraite ont été balayés par une tempête parfaite en 2008, illustre Greg MacDonald, analyste de Financière Banque Nationale, dans un récent rapport sur les implications boursières des déficits des caisses de retraite.

En fait, les régimes ont été frappés sur deux fronts. D'une part, les marchés boursiers ont perdu 35%, ce qui a causé une érosion sans précédent des actifs des régimes. Leur rendement médian a reculé de 16,5% en 2008, la pire de baisse annuelle depuis les 30 ans que Morneau Sobeco compile les données. Mais comme les régimes tablent sur un rendement annuel d'environ 6%, le manque à gagner est encore plus imposant.

D'autre part, la baisse des taux d'intérêt a gonflé le passif des régimes de 10%, estime Morneau Sobeco. Il faut savoir que, dans les régimes à prestations déterminées, l'employeur s'engage à verser une rente à ses retraités. Plus les taux d'intérêt sont faibles, plus le régime doit avoir des réserves importantes pour couvrir tous ses engagements envers les bénéficiaires. Voilà pourquoi la valeur actualisée du passif augmente lorsque les taux baissent.

À cause de ces deux facteurs combinés, la situation des régimes de retraite s'est considérablement détériorée en 2008. L'indice de la santé des régimes de retraite de Mercer, qui mesure les actifs par rapport au passif, a plongé en dessous de 60% à la fin de l'année 2008, alors qu'il se situait à 80% au début de l'année.

Vu à l'envers, c'est dire qu'il manque 40% dans les coffres des régimes de retraite pour assumer l'ensemble des obligations des entreprises envers leurs retraités. Or, lorsque les actifs ne sont plus suffisants pour couvrir le passif, c'est à l'employeur de combler l'écart, en versant des cotisations supplémentaires.

«Il y aura de gros montants à payer. C'est clair qu'il y aura un impact sur la rentabilité des entreprises. Ça pourrait même mener certaines d'entre elles à la faillite», affirme Jean Bergeron, directeur de la gestion d'actifs chez Morneau Sobeco.

Limiter les dégâts

Les gouvernements ont toutefois mis en place des mesures pour atténuer les effets de la crise financière sur les régimes de retraite.

Par exemple, les employeurs pourront renflouer leur régime sur dix ans plutôt que cinq. Grâce à cette mesure, bien des employeurs n'auront pas à augmenter leurs cotisations du tout, alors qu'autrement, certains auraient vu leurs contributions grimper de 15% de leur masse salariale en 2008 à 50% en 2009, indique M. St-Germain.

Par ailleurs, les règles comptables entourant les régimes de retraite permettront aussi de réduire leur déficit aux yeux des actionnaires.

C'est que les actuaires n'utilisent pas le même taux d'intérêt que les comptables pour déterminer l'ampleur du passif des caisses de retraite. Pour établir le déficit actuariel du régime, les actuaires utilisent le taux des obligations du gouvernement, qui a baissé l'an dernier. Mais pour dresser les états financiers, les comptables utilisent le taux des obligations des sociétés (cote AA), qui a plutôt monté.

Généralement, ces deux taux fluctuent en tandem. Mais en 2008, ils ont divergé. «Cela donne des résultats absurdes», dit M. St-Germain.

Ainsi, plusieurs entreprises auront un déficit de solvabilité dans leur régime de retraite et devront verser des cotisations additionnelles. Pourtant, dans leurs états financiers, leur régime sera en surplus... et ne grugera pas leurs profits.

Cette situation tout à fait inhabituelle cachera aux investisseurs le portrait réel des régimes de retraite.