Rangez les flûtes à champagne, oubliez les diamants et autres cadeaux prestigieux. En ce jour de Saint-Valentin, les consommateurs de produits de luxe n'ont pas le coeur à la fête.

L'industrie du haut de gamme est en récession. Les travailleurs américains perdent leur emploi par centaines de milliers. Après avoir vu fondre la valeur de leur maison, puis celle de leurs placements, ils ont perdu leur «sentiment de richesse», un grand stimulant pour l'achat de produits de luxe, explique Alain Côté, gérant financier senior chez Optimum gestion financière, à Paris.

 

Depuis la crise du crédit, les ménages se préoccupent d'équilibrer leur budget plutôt que d'acheter des produits superflus. Au lieu de se payer un jean à 300$, ils usent leurs vieux pantalons.

«Les acheteurs se questionnent sur la pertinence d'acheter un produit de luxe à crédit, alors qu'ils auraient l'argent pour se payer un basique», note Chris Graja, analyste chez Argus.

Voyant leurs ventes fondre et leurs stocks s'accumuler, les magasins de luxe doivent solder leurs collections, minant du coup leur marge bénéficiaire. Autrement dit, ils sont frappés sur deux fronts.

À titre d'exemple, la chic bannière américaine Nordstrom a vu ses ventes plonger de 13% au dernier trimestre, malgré des soldes considérables. Face à ces résultats, les analystes financiers ont tronqué leurs prévisions, abaissant d'environ 40% leurs attentes de profits pour 2010.

Le ciel s'assombrit aussi dans l'industrie du tourisme. Les chambres d'hôtel se vident, du moins aux États-Unis. Le surplus de capacité est clair à Las Vegas et à Atlantic City, où les casinos en arrachent. MGM Mirage vient d'annuler des projets de condos et de reporter la construction d'un hôtel thermal, le temps que Las Vegas cuve ses excès.

La surcapacité pèse aussi dans l'industrie des croisières. Le numéro deux mondial, Royal Caribbean Cruises, vient de mettre en service de nouveaux bateaux dernier cri. Mais il offre des tarifs équivalents ou moindres, alors qu'ils devraient être supérieurs, explique John Staszak, d'Argus.

Pas vacciné contre la récession

Et dire qu'il y a moins de deux ans, on croyait que le luxe était vacciné contre la récession!

«C'est vrai. C'était une idée très répandue», dit Jean-René Adam, gestionnaire de portefeuille sur les marchés nord-américains pour Hexavest. Il se souvient que de nombreuses firmes de courtage lui acheminaient des études fondées sur ce précepte.

L'industrie des fonds négociés en Bourse, toujours rapide à récupérer les tendances, a même accouché d'un fonds spécialisé dans le luxe, durant l'été 2007.

Le fonds Claymore/Robb Report Global Luxury Index ETF reproduit la performance d'un panier d'une trentaine d'actions de fabricants de produits haut de gamme, comme LVMH (Louis Vuitton Moët Hennessy), Luxottica, Pernod Ricard, Hermès et autres Porsche.

Lors du lancement du fonds, le promoteur Claymore soulignait que le luxe n'avait jamais été aussi payant. Que le nombre de millionnaires avait doublé en 10 ans, citant une étude de Capgemini et de Merrill Lynch. Que les riches avaient accru leurs revenus disponibles bien plus vite que les moins fortunés. Que tout cela avait permis aux grands noms du luxe de gonfler leurs prix de vente, leurs revenus et leurs profits.

On prévoyait que le marché mondial du luxe, alors évalué à 150 milliards US, gonflerait de 6 à 7% par an au cours des cinq prochaines années, en se fondant sur les prévisions d'un autre consultant, Tesley Advisory.

Le luxe a plutôt frappé un mur. «L'industrie mondiale des biens de luxe, qu'on croyait immunisée contre les ressacs de l'économie, a commencé à ressentir les effets du ralentissement mondial et entrera probablement en récession en 2009», a confirmé cet automne, la septième édition de l'étude de Bain and Company sur l'industrie du luxe. Le recul s'établira à 7% en 2009.

Aubaines ou pièges?

À la Bourse, l'indice mondial du luxe a fondu de moitié depuis un an. Plusieurs titres ont baissé de plus de 60%, comme ceux de Saks, de Porsche ou de Sothebys. «La réalité économique rattrape tout le monde, du premier jusqu'au dernier étage», constate M. Côté.

Ironiquement, les bannières bon marché ont bien résisté, indique M. Adam. Wal-Mart a glissé de seulement 5% sur un an. Et Family Dollar Store a gagné 34%. Le titre a bien joué son rôle défensif, mais M. Adam vient de s'en départir, le jugeant surévalué.

Est-ce maintenant l'occasion de profiter des aubaines boursières du côté du luxe? Tout dépend de l'évolution de l'économie. Mais les experts jugent qu'il est trop tôt.

M. Adam note que les revenus continuent se fondre, mois après mois. Chez Saks, par exemple, les ventes ont fondu de 5% en novembre, de 20% en décembre, puis de 25% en janvier. «Ce n'est pas le moment d'investir dans le luxe, estime M. Côté. Mais si on veut garder un pied dans le secteur, il faut le faire avec les plus gros joueurs, comme LVMH.»

De un, les grandes sociétés peuvent réduire leurs coûts plus facilement que les petites, coincées par la structure de coûts fixes.

De deux, les grands acteurs ont les poches assez profondes pour protéger leur marque. «Vous ne pouvez pas baisser vos prix de 50% sans entacher votre marque», expose M. Côté. Voilà pourquoi les hôtels Four Seasons ont pour philosophie de maintenir leurs tarifs, coûte que coûte, tandis que d'autres bannières laissent aller à moitié prix des chambres de 400$ pour remplir leurs hôtels.

Mais quand la demande reprendra, elles peineront à relever leurs prix. Les grands noms du luxe auront alors tout le loisir de racheter à rabais des bannières affaiblies. Voilà une troisième raison de les préférer.

De quatre, les grands groupes ont des réseaux de distribution plus larges qui leur ouvrent les portes des marchés internationaux, où le luxe se porte mieux que dans les marchés matures comme les États-Unis, l'Europe et le Japon.

Un exemple: à l'échelle mondiale, les ventes de Mercedez-Benz ont faibli de 5% l'an dernier. Mais ce recul a été deux fois plus prononcé aux États-Unis, tandis que les ventes avançaient encore à toute vitesse dans les pays émergents (+39% en Chine).

Finalement, les marques les plus prestigieuses, comme Hermès qui vend des carrés de soie à plus de 2000$, s'en tireront mieux que des marques plus accessibles, comme Ralph Lauren. Le luxe absolu reste à flot, observe Bain.

D'ailleurs à Paris, destination shopping par excellence, on croise encore dans les rues des Lamborghini avec des plaques arabes, raconte M. Côté. La preuve que certains n'ont pas besoin de se serrer la ceinture.

 

DÉGRIFFÉES À LA BOURSE

Variation boursière depuis 12 mois

SAKS -89%

SOTHEBYS -76%

NORDSTROM -65%

PORSCHE -62%

Mandarin Oriental -58%

BULGARI -55%

COACH -55%

DAIMLER -55%

THE SWATCHGROUP -52%

Remy Cointreau -49%

TIFFANY&CO. -49%

RICHEMONT -45%

POLO RALPH LAUREN -43%

CHRISTIAN DIOR -42%

SHISEIDO -41%

LUXOTTICA -38%

BMW -36%

Pernod-Ricard -34%

LVMH -32%

HERMES -2%

Source: Bloomberg