La guerre sans merci que se livrent deux exploitants de broyeurs de métal, établis côte à côte à Laval, met ses combattants à rude épreuve, tant et si bien qu'un rapprochement a été tenté en vain par Jacques Lamarre, ex-PDG de SNC-Lavalin et actionnaire de l'un des deux compétiteurs.

Au printemps 2017, La Presse avait dressé l'état du champ de bataille entre Total Métal Récupération (TMR), de Jean-Guy Hamelin, et la Compagnie américaine de fer et métaux (AIM), d'Herbert Black. Deux vieux ennemis qui se disputent le marché depuis 40 ans.

Un an et demi plus tard, les deux parties continuent de souffrir financièrement à cause du conflit.

« Cet été, Jacques Lamarre [un des actionnaires de TMR] m'a rencontré au Club Mont-Royal, confie Herbert Black au téléphone. Il est venu me proposer de racheter les actionnaires de TMR. Il a tenté de me convaincre en me disant qu'en les rachetant, j'allais réduire mes pertes futures. Je lui ai répondu : "Non, merci." »

TMR a installé à Laval son mégabroyeur de métal de 70 millions tout juste à côté de son principal concurrent : la Compagnie américaine de fer et métaux. En fait, TMR et AIM sont en guerre depuis l'ouverture du premier, en décembre 2016. À eux deux, ces broyeurs ont la capacité de déchiqueter pratiquement deux fois ce que le Québec produit de carcasses automobiles.

M. Hamelin avait convaincu 24 investisseurs de financer son usine dans l'est de Laval, parmi lesquels de grands noms de Québec inc. : Jacques Lamarre, Gérard Geoffrion, ex-président du torréfacteur de café Van Houtte, Marc De Serres, des magasins du même nom, Guy Laliberté, Pierre Sylvestre, d'EBI, Daniel Gauthier, maintenant à la tête du Massif de Charlevoix, et Éric R. La Flèche, président et chef de la direction de Metro.

La Banque Nationale a accepté de financer le reste de l'aventure avec un prêt d'au moins 30 millions de dollars. TMR a aussi obtenu une subvention de 620 000 $ du Fonds vert pour l'achat de deux grues électriques servant à alimenter le broyeur.

Joint au téléphone, Jacques Lamarre a confirmé avoir rencontré M. Black, de sa propre initiative, sans mandat de la part du conseil de TMR.

« Comme actionnaire de TMR, je disais qu'on devrait s'unir plutôt que de se nuire. Je ne suis pas un grand expert, c'est M. Black, l'expert. Si l'idée a du bon sens, elle a du bon sens. Si elle n'a pas de bon sens, elle n'a pas de bon sens. Je me fiais à son expertise. » - Jacques Lamarre, actionnaire minoritaire de TMR

La rencontre n'a pas eu de suite. « Les actionnaires ont remis de l'argent dans TMR, pis la vie continue », poursuit-il.

La Presse a demandé à M. Lamarre s'il était satisfait de son investissement. « On ne peut pas dire qu'on fait de l'argent. On ne fait pas d'argent avec ça. Un début d'opération, c'est toujours un peu difficile », dit-il, en ajoutant que ça le fatigue de parler au nom de TMR, car il est lui-même seulement un petit actionnaire.

« TMR a une très belle usine, a-t-il poursuivi. TMR est une belle entreprise. C'est bien géré, c'est bien mené. Elle a un bel avenir devant elle. C'est positif pour la région. AIM, aussi, est une belle entreprise. Pour moi, ce sont deux beaux fleurons », dit-il en terminant la conversation.

RECHERCHE D'INVESTISSEURS CHEZ TMR

Sous l'effet de la concurrence accrue, le prix des carcasses a augmenté et les exploitants de broyeur ont souffert. Le propriétaire d'AIM, Herbert Black, évalue que TMR a causé une diminution de son bénéfice avant impôt, intérêt et amortissement (BAIIA) d'au moins 25 millions en 2017.

De son côté, l'entreprise de Jean-Guy Hamelin était à la recherche de nouveaux investisseurs à la fin de janvier, indique un prospectus préparé par la firme DNA Capital, que La Presse a obtenu. C'est la firme de Daniel Labrecque qui avait élaboré le montage financier initial et avait recruté les investisseurs du Québec inc.

« TMR est à la recherche de partenaires afin de déployer sa stratégie à l'échelle internationale, explique la société dans le même courriel. Pour des raisons de concurrence, vous comprendrez que la Société ne dévoile pas davantage d'information à ce sujet. »

En parallèle, Pierre Sylvestre, président et principal actionnaire de l'entreprise d'enlèvement des ordures EBI, à Berthierville, est devenu président du conseil de TMR. « Il a succédé à Daniel Labrecque, qui avait lui-même succédé à Jean-Guy Hamelin, actuel président et chef de la direction de TMR », indique Pierre Tessier, porte-parole de TMR, dans un courriel.

Il n'a pas été possible de parler à Jean-Guy Hamelin, tandis que Pierre Sylvestre n'a pas rappelé La Presse.

LA BN, VICTIME COLLATÉRALE

AIM, qui a des revenus annuels de 1,4 milliard, a coupé les liens avec la Banque Nationale (BN) dans la foulée de sa lutte avec son concurrent TMR.

Le patron d'AIM, Herbert Black, ne digère pas que la BN finance à nouveau M. Hamelin, en raison de son passé tumultueux et du fait qu'il aurait fait perdre de l'argent à l'institution financière avec ses entreprises antérieures.

En 2002, la société Julien inc. a poursuivi M. Hamelin pour avoir utilisé contre elle des moyens frauduleux la privant de sommes d'argent. Le dossier s'est réglé à l'amiable. En 2013, c'était au tour d'AIM de le poursuivre dans la foulée du rachat par AIM de SNF, qui appartenait alors à M. Hamelin.

AIM et la BN avaient tissé une relation d'affaires vieille de 10 ans. Jusqu'à leur séparation, la BN faisait partie d'un syndicat bancaire qui a prêté un demi-milliard à AIM.

« À la suite de nos récentes discussions et après mûres réflexions, j'ai le regret de vous informer que nous ne voulons pas de la Banque Nationale dans notre syndicat bancaire pour le présent financement sur le point d'être conclu », a fait savoir M. Black à Louis Vachon, PDG de la Nationale, plus tôt cette année.

« Nous ne commenterons pas le ou les dossiers de clients et/ou de non-clients de la Banque, a fait savoir l'institution financière par courriel. Ceci dit, la Banque accompagne depuis toujours des entreprises tantôt partenaires, tantôt concurrentes, et ce, au sein de multiples industries. Et pour l'ensemble de celles-ci, les forces du marché prévalent, que ce soit en matière de prix, d'offre et de demande ou de compétition. »