Le voyagiste Sinorama a demandé à la firme comptable Raymond Chabot de réviser entièrement ses processus d'affaires, notamment ceux qui concernent les dépôts de ses clients dans un compte distinct.

Le mandat été confié par Sinorama à cette firme de consultants dans le contexte de la vérification entreprise récemment par l'Office de la protection des consommateurs (OPC). L'organisme, rappelons-le, s'est saisi du dossier dans la foulée de la publication des états financiers annuels déficitaires de la société mère Sinorama Corporation, à la mi-avril.

« On a donné un mandat à Raymond Chabot pour restaurer certains processus, pour nous aider à voir ce qu'on peut améliorer pour s'assurer du respect de la réglementation, à l'OPC, à l'AMF [Autorité des marchés financiers] et tout », a expliqué le vice-président aux communications de Sinorama, Claude Landry, au cours d'une entrevue.

« [Le mandat concerne] le processus opérationnel, donc l'ensemble de l'oeuvre : la gestion, la comptabilité, les comptes en fidéicommis, etc. », a-t-il ajouté.

Selon la réglementation québécoise et canadienne, les fonds des clients, versés dans un compte en fidéicommis distinct, doivent être strictement réservés aux frais de voyage (avions, hôtels, etc.) et non être utilisés pour les dépenses d'exploitation de l'entreprise (publicité, promotion, loyers, etc.).

Dans les états financiers annuels de Sinorama Corporation, parus le 17 avril, il est indiqué que le fonds de roulement de l'entreprise est lourdement déficitaire. 

Il manquait entre autres 11 millions de dollars canadiens dans les coffres de l'entreprise au 31 décembre 2017 pour honorer, au cours des mois suivants, les voyages totalisant 38 millions déjà payés par les milliers de clients.

Sinorama Corporation est la société mère de Vacances Sinorama, de Montréal, où se déroulent 90 % des affaires de l'entreprise. Elle est inscrite en Bourse aux États-Unis.

Selon le porte-parole de l'OPC, Charles Tanguay, les dépôts des clients dans le compte en fidéicommis font partie de la vérification du dossier de Vacances Sinorama, comme c'est toujours le cas dans ce genre de vérification.

Claude Landry, de Sinorama, n'a pas voulu préciser l'échéancier du mandat de Raymond Chabot. Le processus de révision, dit-il, est fait en collaboration avec l'OPC. Selon Charles Tanguay, l'OPC ne travaille pas avec Raymond Chabot, mais directement avec Sinorama. La firme Raymond Chabot nous a confirmé avoir « un mandat d'accompagnement avec Sinorama », mais sans plus de commentaires.

20 MILLIONS À DES SOCIÉTÉS HORS QUÉBEC

La Presse avait sollicité une entrevue auprès des dirigeants de Sinorama pour comprendre certaines transactions importantes entre Sinorama Corporation et des entreprises apparentées. Ces sociétés, contrôlées par la PDG Martine Jing ou son conjoint Simon Qian, sont à l'extérieur du périmètre comptable de Sinorama Corporation, mais grèvent fortement les liquidités de l'entreprise.

Plus précisément, depuis deux ans, les liquidités accordées à ces sociétés externes apparentées se sont élevées à 20 millions de dollars, selon les états financiers annuels. La somme est significative sachant que les activités courantes de l'entreprise ont enregistré des déficits de liquidités de 4,0 millions durant la même période.

Dans les états financiers, cette absorption de 20 millions de liquidités est essentiellement justifiée par le fait que Vacances Sinorama, de Montréal, paie de sa poche des dépenses faites par des agences apparentées de Vancouver, Düsseldorf (Allemagne), Markham (Ontario) et Auckland (Nouvelle-Zélande).

Comme ces entreprises sont hors du périmètre comptable, il est impossible d'avoir des détails sur leurs activités, qui ne sont pas auditées par le vérificateur comptable de Sinorama Corporation, soit la firme ZH, de Vancouver.

Parmi ces quatre sociétés apparentées, l'agence allemande Sinorama Reisen, de Düsseldorf, devait à elle seule 5,3 millions canadiens à Sinorama Corporation au 31 décembre 2017.

Selon les états financiers, Sinorama Corporation a payé des fournisseurs de Reisen « pour obtenir des prix favorables dans l'achat groupé de voyages, de façon à réserver des disponibilités de forfaits voyages ». La somme due ne porte pas intérêt.

En entrevue, le président de Vacances Sinorama, Simon Qian, précise que les deux tiers des sommes que doit Reisen s'expliquent par des dépenses assumées par l'agence de Montréal pour des plateformes d'achat groupé de type Groupon et Tuango. L'autre tiers vient de la part des frais de publicité mondiaux que lui doit Reisen.

Une autre société apparentée, Sinorama Travel, de Vancouver, est responsable de 7,5 millions des 20 millions de liquidités affectés par l'agence de Montréal à des sociétés externes apparentées depuis deux ans. Selon les états financiers, les 7,5 millions ont servi à rembourser à l'agence de Vancouver des forfaits de voyage que cette dernière avait réservés auprès de fournisseurs chinois. La direction n'a pas donné de détails spécifiques à ce sujet malgré nos demandes répétées.

AVIS D'EXPERTS COMPTABLES

Deux experts comptables qui ont passé en revue les états financiers de Sinorama Corporation ont confirmé à La Presse l'impact de 20 millions de ces transactions sur les liquidités.

« C'est l'équivalent d'une sortie de fonds de la société mère aux entreprises apparentées. La somme est significative compte tenu de la grosseur de l'entreprise », dit Michel Magnan, professeur à l'Université Concordia, à Montréal.

Son de cloche semblable de Messaoud Abda, président de la firme de consultants Sigma D3. 

« Il est anormal que des sociétés apparentées pompent autant de cash. Dans un tel cas, elles devraient faire partie du même périmètre comptable que Sinorama Corporation. » - Messaoud Abda, président de la firme de consultants Sigma D3

Par ailleurs, La Presse a appris que le pendant de l'OPC en Ontario a également entrepris des vérifications. « Nous révisons le dossier à la lumière des récentes informations publiques. La licence de l'agence demeure active », a déclaré Richard Smart, PDG du Travel Industry Control of Ontario (TICO), qui dit avoir la collaboration de Sinorama.

Ces vérifications du TICO portent sur Sinorama Holiday inc., de Markham, en Ontario, l'une des quatre sociétés apparentées de l'organisation. Cette agence n'est pas détenue par Sinorama Corporation, mais par les dirigeants Simon Qian et Martine Jing, selon les documents publics de Sinorama Corporation.

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRECHETTE, LA PRESSE

Le vice-président aux communications de Sinorama, Claude Landry