L'Autorité des marchés financiers (AMF) a ouvert une enquête sur les activités de financement du voyagiste Sinorama, a appris La Presse Affaires.

« Dans le cadre de nos activités de surveillance, l'Autorité a ouvert une enquête dans ce dossier, enquête à laquelle collaborent pleinement les dirigeants de l'entreprise », a déclaré Sylvain Théberge, porte-parole de l'AMF, qui n'a pas voulu en dire davantage.

Selon nos informations, cet organisme qui joue le rôle de chien de garde des marchés financiers s'intéresse notamment aux collectes de fonds de Sinorama Corporation auprès des investisseurs. Pour financer sa croissance, faut-il savoir, Sinorama a fait un appel public à l'épargne auprès des investisseurs à l'automne 2016, suivi d'un second, en novembre 2017. Les deux collectes de fonds ont totalisé 4,4 millions US (5,5 millions CAN).

Hier, notre reportage révélait qu'il manquait 10,9 millions CAN dans les coffres de Sinorama à la fin de 2017 pour honorer, au cours des mois suivants, les voyages déjà payés par les clients. Sinorama espère combler ce trou financier « avec ses activités futures », c'est-à-dire auprès d'autres clients, selon ce qui est écrit dans les états financiers 2017 de l'entreprise, rendus publics le 17 avril. L'Office de la protection du consommateur (OPC) procède à des vérifications.

Sinorama est inscrite sur le marché hors cote (OTC) du NASDAQ aux États-Unis, ce qui l'oblige à rendre ses documents financiers publics. L'entreprise a déposé des prospectus qui expliquent son modèle d'affaires et les détails des collectes de fonds sur le site de la Securities and Exchange Commission (SEC), pendant de l'AMF aux États-Unis. Aucun prospectus n'a été déposé auprès de l'AMF.

Interrogée au sujet de l'enquête de l'Autorité des marchés financiers, la direction de Sinorama a admis avoir rencontré des inspecteurs, à la mi-avril. « Nous sommes en train de préparer des documents », a dit Simon Qian, président du conseil de l'entreprise.

Essentiellement, a expliqué Martine Jing, PDG de Sinorama, l'AMF a demandé qu'on lui fournisse les mêmes documents financiers que ceux déposés auprès de la SEC. L'ensemble des renseignements doit être transmis au plus tard le 18 mai à l'AMF, a-t-elle dit.

Dans les deux prospectus américains, la liste complète des 132 investisseurs a été reproduite, avec les sommes investies par les 121 plus petits actionnaires. Les 132 investisseurs sont presque tous d'origine chinoise. La Presse a pu en identifier une dizaine dont les noms sont associés à des adresses de résidence au Québec, en plus des 13 employés investisseurs. Il n'a pas été possible de connaître le lieu de résidence des autres.

> Consultez les documents remis à la SEC (en anglais)

DES INVESTISSEURS QUÉBÉCOIS

Parmi les investisseurs externes identifiés se trouve un représentant publicitaire de la Société Radio-Canada, qui a injecté 40 000 $US dans l'entreprise, à l'automne 2016. Sinorama est l'un de ses clients. « Je les connais depuis quatre ans, ce sont de grands visionnaires », dit cet investisseur.

Un autre Québécois dit avoir investi 40 000 $US, mais il ne sait pas si le dirigeant de l'entreprise qui a recueilli son argent détenait un permis de courtage. Il dit avoir été mis en relation avec lui par un voyageur de Sinorama.

« J'aime jouer à la Bourse, prendre des risques. Et dans bien des cas, on fait notre argent avec un investissement avant que le titre ne soit inscrit en Bourse. Donc c'était ma chance d'entrer dans le titre en 2016. C'est alléchant. »

- Un investisseur

Aujourd'hui, Sinorama est détenue à 60,1 % par les trois premiers dirigeants, notamment le couple Wenjia Jing et Hong Qian, de Brossard (ils se font respectivement appeler Martine et Simon). Le reste est détenu par huit hommes d'affaires chinois (11,2 %) et 121 petits actionnaires (27,6 %), dont 13 employés.

LES TROIS QUARTS SONT CHINOIS, DIT L'ENTREPRISE

Selon la direction de Sinorama, de 70 à 80 % des investisseurs de la liste sont des résidants de Chine : des parents, des amis ou des « amis des amis ». La liste comprend également quelques employés de Sinorama, explique Simon Qian.

Normalement, une entreprise est tenue d'avoir l'assentiment de l'Autorité des marchés financiers pour recueillir des fonds auprès de Québécois, en produisant un prospectus. Toutefois, elle peut être dispensée de le faire si les investisseurs sont fortunés (1), s'ils travaillent pour l'entreprise ou s'ils résident à l'extérieur du Canada, essentiellement, selon la réglementation en vigueur.

Un investisseur fortuné (ou qualifié) doit avoir un revenu net de plus de 200 000 $, un revenu familial de plus de 300 000 $ ou encore un actif financier net de plus de 1 million (immobilier exclu).

Les actions de Sinorama sont rarement échangées sur le marché hors cote du NASDAQ. La dernière transaction remonte au 23 mars, jour où 100 actions ont été vendues à 2 $US, pour un total de 200 $US. Depuis le début de l'année, 8600 actions ont changé de main à des prix variant entre 1 et 2 $US.

PAS D'AIDE DE L'ÉTAT CHINOIS

La direction du voyagiste Sinorama affirme que l'entreprise n'est pas financée par le gouvernement chinois, que ses bas prix ne s'expliquent pas par une aide particulière de l'État.

La réponse directe à ce sujet est venue du relationniste de l'entreprise, Claude Landry, qui était présent quand nous avons rencontré la direction, mardi. « Je l'entends souvent, celle-là, mais non, ce n'est pas financé par le gouvernement chinois. Ce sont des entrepreneurs immigrants qui ont lancé cette entreprise et la gèrent. »

Le président du conseil de Sinorama, Simon Qian, a fait valoir que les divers gouvernements du Canada et de la Chine, qu'ils soient municipaux, provinciaux ou fédéral, cherchent à attirer des touristes et font de la promotion et de la publicité. Ce sont toutefois des offres qui sont offertes à tous les voyagistes, a dit Claude Landry.

Selon Simon Qian, les bas prix de Sinorama s'expliquent par les rabais de volume qu'obtient l'entreprise auprès de fournisseurs, comme Air Canada, en plus de ses faibles marges de profit.

Sinorama dit avoir une situation saine

Le voyagiste Sinorama a publié un communiqué en début de soirée hier dans lequel il affirme avoir une situation financière saine.

« Le reportage de La Presse est fondé sur une mauvaise interprétation des états financiers [de Sinorama] », soutient la haute direction de l'entreprise, qui dit vouloir rassurer ses clients et fournisseurs.

L'entreprise dit satisfaire aux exigences de l'Office de la protection du consommateur, organisme avec lequel elle dit continuer d'entretenir des liens étroits. De plus, elle dit prévoir une nouvelle phase d'expansion de ses activités prochainement.

Selon le communiqué, le modus operandi de Sinorama, fondée en 2005, « permet d'économiser et d'éviter les hausses de prix qui pourraient survenir dans les mois suivant la réservation des voyages par les clients ».

Le message de Guylaine Tremblay

La populaire comédienne Guylaine Tremblay, devenue le visage de Sinorama dans des publicités très remarquées, n'a pas voulu faire de commentaires sur la situation financière du voyagiste.

La Presse n'avait pu joindre Guylaine Tremblay mercredi avant la production de La Presse+. Toutefois, la comédienne nous a laissé un message en fin de soirée mercredi, et donc avant la parution du reportage d'hier matin.

« Vous avez tenté de me joindre, mais je suis en tournage pour Unité 9, ma saison est recommencée. Tout ce que je peux vous dire, c'est que j'ai voyagé trois fois avec Sinorama, une fois avec mes vieux parents et une fois avec mes enfants et ça s'est toujours passé magnifiquement bien.

« Vous comprendrez que pour le reste - je sais que vous c'est votre spécialité, les finances, c'est vraiment pas la mienne -, j'espère que vous trouverez vos réponses auprès des bonnes personnes qui peuvent vous renseigner là-dessus. Moi, tout ce que je peux vous dire, c'est que je suis très satisfaite de mon association avec Sinorama et que tout se passe bien pour l'instant. »

- Francis Vailles, La Presse