Un homme d'origine bangladaise accuse Bombardier et l'un de ses hauts dirigeants de racisme à son endroit et de congédiement illégal, dans une poursuite déposée cette semaine à Montréal.

« Regarde autour de toi, le siège social de Bombardier n'embauche personne de ta couleur dans sa direction », lui aurait-on notamment dit.

Né au Bangladesh, John Sinclair a immigré aux États-Unis il y a plusieurs années, selon ce que fait valoir son avocat dans sa requête introductive d'instance. Il y aurait occupé des fonctions élevées dans le domaine des technologies de l'information au sein de quelques entreprises prestigieuses.

Il a quitté l'un de ses emplois pour entrer au service de Bombardier en juillet 2017, à titre de vice-président à la croissance de la plateforme et à l'activation, après ce qu'il décrit comme une longue campagne de séduction de la part de celui qui allait devenir son supérieur, Ernest Jeffrey Hutchinson, directeur des systèmes d'information au siège social de Bombardier.

M. Hutchinson se décrivait lui-même, selon ce qu'avance M. Sinclair, comme le « numéro 2 » de Bombardier, sous la supervision directe du président et chef de la direction, Alain Bellemare. Le nom de M. Hutchinson ne figure toutefois pas parmi les 15 membres de l'équipe de direction affichés sur le site internet de l'entreprise.

DÉSENCHANTEMENT RAPIDE

Selon les allégations faites par M. Sinclair, qui n'ont pas été prouvées devant un tribunal, il a été accueilli et couvert d'éloges à son arrivée. Les choses ont toutefois rapidement changé.

« Pendant huit mois, M. Sinclair a été victime d'insultes personnelles incessantes, de harcèlement, d'intimidation et de commentaires discriminatoires racistes provenant de M. Hutchinson », est-il écrit.

Au total, M. Sinclair réclame plus de 1,45 million de dollars à Bombardier et à M. Hutchinson personnellement. Cette somme inclut l'équivalent de deux ans de rémunération, soit 1,15 million, des dommages punitifs et une prime de 60 000 $ qui ne lui a pas été versée comme prévu. À cela s'ajoutent des bonus et des frais de relocalisation dont les montants n'ont pas encore été déterminés.

UN STRATAGÈME POUR SOUTIRER DE L'ARGENT, SELON BOMBARDIER

La multinationale canadienne entend défendre bec et ongles sa réputation et celle de son dirigeant. 

« Bombardier avait des motifs tout à fait raisonnables de congédier cet employé », a déclaré un porte-parole de Bombardier par courriel.

« Cette poursuite n'est qu'un stratagème pour obtenir une compensation à laquelle il n'a pas droit. Nous nions catégoriquement ces allégations et ferons la preuve des motifs ayant mené à ce congédiement.

« Compte tenu du fait que le dossier est présentement devant les tribunaux, nous ne ferons pas d'autre commentaire. »

DEUX INCIDENTS

Le plaignant relève en particulier deux incidents. Le premier est survenu dans l'entrée d'un hôtel de Dorval, le 10 janvier 2018. M. Hutchinson l'aurait alors subitement accusé de vouloir lui voler la vedette.

« C'est ma putain de maison [« This is my fucking house »], il n'y a que moi qui puisse briller, n'essaie pas de me voler la vedette, je t'ai emmené ici et je n'ai aucun problème à te renvoyer », lui aurait crié M. Hutchinson.

« Je t'ai fait une grande faveur en t'emmenant ici, c'est l'opportunité d'une vie. Regarde autour de toi. Le siège social de Bombardier n'embauche personne de ta couleur dans sa direction. »

- Propos de M. Hutchinson, selon M. Sinclair

Deux semaines plus tard, toujours en janvier 2018, à l'occasion d'un séminaire de la haute direction dans un hôtel du centre-ville, M. Hutchinson reçoit des éloges à l'endroit de M. Sinclair provenant d'un autre haut dirigeant, Pierre-Yves Cohen. Il fait signe à M. Sinclair d'approcher et lui raconte, devant M. Cohen, ce qu'il vient d'entendre. M. Sinclair remercie M. Cohen et s'éloigne.

M. Hutchinson le retrouve un peu plus tard, raconte M. Sinclair, et relance les insultes.

« C'est ça, mon problème, avec toi. Tu es toujours en train d'essayer de mieux paraître que tes pairs. »

« Qu'ai-je fait de mal, Jeff ? », aurait répondu M. Sinclair.

« Tout. Regarde-toi, la façon dont tu t'habilles, la façon dont tu te positionnes auprès des hauts dirigeants comme Pierre-Yves. Tu ne penses pas à tes pairs, tu tentes toujours de te démarquer. Regarde autour de toi, toute l'équipe de direction d'Alain Bellemare est blanche, et je t'ai fait une grande faveur, c'est une grande opportunité et tu es en train de tout faire rater. »

Percevant la détresse dans le visage de M. Sinclair, son supérieur aurait alors tenté de calmer le jeu. « Si je ne t'aimais pas, je ne t'aurais pas emmené ici chez Bombardier et j'aurais facilement pu embaucher un Canadien. »

M. Sinclair affirme avoir tenté à trois occasions de présenter la situation au vice-président principal aux ressources humaines, Daniel Brennan, sans succès. Six fois, il aurait tenté d'approcher le chef de la direction financière, John Di Bert, sans succès là non plus.

- Avec Louis-Samuel Perron, La Presse