Alors que les États-Unis maintiennent la pression en confirmant des tarifs punitifs totalisant 292 % sur l'importation d'avions de la C Series, les gouvernements du Canada et du Royaume-Uni ont mis par écrit, conjointement, leurs menaces de représailles à l'endroit de Boeing.

OTTAWA ET LONDRES FONT FRONT COMMUN

Le Canada et le Royaume-Uni précisent leurs menaces envers Boeing. Dans une lettre qu'ils ont conjointement fait parvenir à Boeing lundi, ils remettent clairement en question leurs achats auprès du constructeur en raison de la bataille qu'il livre à Bombardier.

La lettre, signée par la ministre des Affaires étrangères du Canada, Chrystia Freeland, et par le secrétaire d'État à l'Entreprise, l'Énergie et la Stratégie industrielle du Royaume-Uni, Greg Clark, est adressée au président du conseil d'administration et chef de la direction de Boeing, Dennis Muilenburg.

« Nous avons tous les deux été très déçus que Boeing entreprenne ce recours et sommes désireux de résoudre le problème sans qu'il soit nécessaire de poursuivre les procédures légales », écrivent d'abord les0  deux ministres en signe d'ouverture.

Le ton se durcit par la suite.

« Nos deux nations ont établi un partenariat fort avec Boeing sur plusieurs années. L'impact potentiel sur les emplois au Canada et au Royaume-Uni rend difficile notre appui aux politiques d'approvisionnement que nous avons suivies dans le passé et qui ont été très bénéfiques pour Boeing. » - Extrait de la lettre envoyée à Boeing par les gouvernements canadien et britannique

Puis la menace se précise. La lettre rappelle que le gouvernement canadien a lancé le 12 décembre dernier un appel d'offres pour le renouvellement de sa flotte d'avions de chasse.

« Étant donné que le gouvernement sent qu'il est important de faire affaire avec des partenaires fiables, l'évaluation des propositions inclura une estimation de l'impact des soumissionnaires sur les intérêts économiques canadiens.

« De façon similaire, le Royaume-Uni est maintenant susceptible d'explorer un éventail d'options en matière d'approvisionnements futurs plus large qu'il ne l'aurait fait sinon, eu égard à l'obligation de tous les responsables d'approvisionnement britanniques de tenir compte des objectifs sociaux et économiques. »

De telles menaces avaient déjà été faites par les deux gouvernements, mais c'est la première fois qu'elles sont formulées conjointement, par écrit de surcroît.

BOEING DÉNONCE LA DÉMARCHE

Dès le lendemain de la réception de la lettre, Boeing a tenté de la faire verser aux dossiers judiciaires de ses procédures à l'endroit de Bombardier auprès du département du Commerce des États-Unis et de l'International Trade Commission (ITC), lui aussi un organisme américain.

Dans les deux cas, l'entreprise a souligné avoir reçu la lettre au moment même où se déroulaient, à Washington, des audiences devant les commissaires de l'ITC. Auprès de cette dernière, Boeing demande que la lettre soit traitée « comme un tribunal judiciaire, quasi judiciaire ou administratif le ferait avec une communication comme celle-ci adressée à l'une des parties afin qu'elle retire sa plainte devant ce tribunal ».

LES ÉTATS-UNIS MAINTIENNENT LA LIGNE DURE

Le département du Commerce des États-Unis a statué de façon « finale » que les avions de la C Series importés aux États-Unis devront faire l'objet de tarifs totalisant 292,21 % en raison de « subventions illégales » reçues par Bombardier et des prix trop faibles auxquels elle a offert ses avions à Delta.

LÉGÈRE AMÉLIORATION

Les tarifs qui seront imposés se divisent en deux groupes. Des droits compensatoires de 212,39 % au total seront prélevés en raison de diverses subventions et aides financières gouvernementales reçues par Bombardier (voir tableau). Il s'agit d'une légère diminution par rapport au taux total de 219,63 % qui avait été calculé à titre intermédiaire à la fin de septembre.

PRIX TROP FAIBLES

Aux droits compensatoires s'ajoutent des droits antidumping de 79,82 %, qui visent à compenser un prix de vente jugé trop faible par rapport aux coûts de construction des avions et au prix offert dans le marché local, à Air Canada. Le taux lui-même n'a pas changé depuis septembre. Il a été calculé par Boeing, et le département du Commerce a choisi de l'appliquer tel quel, Bombardier ayant refusé de fournir des précisions sur le coût de fabrication des avions. L'entreprise canadienne arguait qu'il lui était impossible de le faire, ces avions n'ayant pas encore été construits.

PAS D'EFFET IMMÉDIAT

La décision n'aura pas d'effet tangible à court terme. Il faudra attendre la décision de l'International Trade Commission des États-Unis (USITC), prévue le 1er février prochain, pour savoir si ces droits seront bel et bien appliqués. Celle-ci doit déterminer si les agissements de Bombardier ont causé du tort à l'industrie américaine.

Depuis le début des procédures, c'est surtout par rapport à cette dernière étape que Bombardier et les analystes considèrent la cause du plaignant, Boeing, comme étant plus faible. Boeing ne fabrique aucun avion de taille similaire à celui vendu à Delta Air Lines, le CS100.

L'action de Bombardier a perdu 1,3 %, hier, à la Bourse de Toronto, mais la baisse est surtout survenue en matinée. L'annonce américaine, faite en après-midi, n'a pas semblé susciter de réaction des investisseurs.

RÉACTIONS

« La décision du département du Commerce [...] ignore les pratiques commerciales en vigueur depuis longtemps dans l'industrie aéronautique, y compris les prix de lancement et le financement de plusieurs milliards de dollars des programmes d'avions. De plus, nous sommes profondément déçus que le département du Commerce n'ait pas saisi l'occasion pour corriger ses erreurs passées. »

- Bombardier

« La décision d'[hier] valide les plaintes de Boeing à propos des prix offerts par Bombardier aux États-Unis, prix qui ont causé des dommages à la main-d'oeuvre et à l'industrie américaines. »

- Boeing

« En collaboration avec le gouvernement fédéral, notre gouvernement entend contester la décision du [département du Commerce des États-Unis] devant les instances de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), afin d'assurer la protection des intérêts du Québec et de démontrer que les prétentions de Boeing sont injustifiées. Nous ne ménagerons aucun effort pour défendre les travailleurs de l'industrie aérospatiale québécoise. »

- Dominique Anglade, ministre de l'Économie, de la Science et de l'Innovation du Québec

« Le gouvernement du Canada est vivement préoccupé par la nature protectionniste des allégations de Boeing, qui cherche à renforcer sa domination du marché américain en empêchant les appareils C Series de Bombardier d'y entrer. Il est insensé de considérer que la société Boeing pourrait être menacée de subir un dommage dans un segment du marché qu'elle a quitté il y a plus de 10 ans. »

- Chrystia Freeland, ministre canadienne des Affaires étrangères

« Notre confiance dans une décision juste et équitable de l'USITC est en chute libre. Espérons que le climat protectionniste de l'administration Trump qui affecte les institutions fédérales américaines n'influencera pas le travail de la Commission du commerce international des États-Unis. Il en va de l'intégrité de l'ensemble de l'industrie aérospatiale autant au Québec, aux États-Unis qu'en Europe. »

- David Chartrand, coordonnateur québécois du Syndicat des machinistes