Alors que le couperet risque de tomber sur 800 emplois à la Davie d'ici quelques semaines faute de nouveaux contrats, des ministres influents du gouvernement Trudeau s'activent en coulisses afin de cibler les achats d'équipement naval et militaire pouvant être réalisés plus rapidement et qui pourraient être octroyés au chantier maritime québécois s'il remporte la mise au terme d'un appel d'offres.

L'acquisition de nouveaux brise-glaces et l'achat d'un nouveau traversier assurant la liaison entre les Îles-de-la-Madeleine et l'Île-du-Prince-Édouard, entre autres, font partie des achats qu'Ottawa pourrait effectuer plus tôt afin d'éviter une saignée d'emplois au chantier Davie, selon des informations obtenues par La Presse.

Cinq ministres - le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, le ministre des Pêches et des Océans, Dominic LeBlanc, la ministre des Services publics et de l'Approvisionnement, Carla Qualtrough, le ministre des Transports, Marc Garneau, et le ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, Jean-Yves Duclos, qui est le ministre responsable de la région de Québec - multiplient les rencontres et les appels afin de trouver une solution pour limiter les pertes d'emplois à la Davie.

« Tout le monde se creuse les méninges pour trouver une solution. Cela fait plus de trois semaines que l'on planche sur ce dossier », a dit une source gouvernementale.

« On tente de déterminer quels achats pourraient être devancés et qui pourraient être réalisés par la Davie si, évidemment, le chantier maritime décroche les contrats après un appel d'offres », a indiqué une source gouvernementale bien au fait du dossier.

« L'avenir de la Davie nous préoccupe. C'est un dossier prioritaire pour plusieurs ministres », a souligné une autre source gouvernementale, précisant toutefois qu'il n'existe pas de « solution magique ».

Flotte vieillissante

En tout, le gouvernement fédéral doit encore accorder l'équivalent de 2 milliards de dollars en contrats pour l'entretien et la construction de nouveaux navires - en plus des 33 milliards de dollars en contrats que se partagent déjà la Irving Shipbuilding de Halifax (25 milliards de dollars pour des navires de combat) et la Seaspan de Vancouver (8 milliards pour la construction de navires scientifiques et d'un nouveau brise-glace pour la Garde côtière ainsi que pour la construction de navires de ravitaillement pour la Défense nationale). Ces deux chantiers, qui ont décroché ces contrats dans le cadre de la stratégie navale adoptée en 2011 par l'ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper, ne pourraient être sur les rangs pour les contrats à venir.

À l'heure actuelle, la Garde côtière du Canada dispose d'une flotte de 15 brise-glaces dans les eaux de l'est du Canada, soit deux brise-glaces lourds, quatre brise-glaces moyens, neuf navires polyvalents et deux aéroglisseurs.

Radio-Canada a rapporté au début d'octobre que la lenteur d'Ottawa à remplacer sa flotte vieillissante de brise-glaces risquait de compromettre les activités des ports de Montréal et de Québec durant l'hiver. Citant un document secret du cabinet, la société d'État rappelait que le manque de fiabilité des brise-glaces de la Garde côtière entraînait déjà des retards importants de services de déglaçage dans l'estuaire et le golfe du Saint-Laurent depuis quelques années. Pour remédier à cette situation, le gouvernement Trudeau avait alors évoqué l'idée de louer des brise-glaces.

Expertise

Dans les rangs libéraux, on soutient que la Davie a démontré sans l'ombre d'un doute qu'elle avait la compétence et l'expertise pour construire des navires de qualité après avoir livré en respectant les coûts et les délais le navire de ravitaillement Astérix. Cela a grandement contribué à rehausser la réputation trouble du chantier maritime, qui a vécu des années difficiles et frôlé la faillite à plusieurs reprises dans le passé.

Dans une récente entrevue accordée à La Presse, un porte-parole de Davie se disait d'ailleurs persuadé que de hauts fonctionnaires à Ottawa avaient toujours « une dent » contre le chantier.

En réponse à une question du NPD, hier, à la Chambre des communes, la ministre Carla Qualtrough a d'ailleurs souligné que la Davie avait fait un « excellent travail sur l'Astérix ».

« Nous sommes toujours très préoccupés par les répercussions des pertes d'emplois sur les travailleurs et leurs familles. Nous reconnaissons l'expertise des travailleurs de Davie et l'excellent travail qui a été fait sur l'Astérix. »

« Au cours des dernières semaines, notre gouvernement a été en contact avec la direction du chantier naval Davie. [...] Nous faisons tout ce que nous pouvons pour aider Davie », a dit la ministre.

Le hic, c'est que le gouvernement Trudeau a les mains liées par la stratégie navale adoptée par l'ancien gouvernement conservateur en 2011. Il serait impossible de rouvrir ces contrats sans s'exposer à des poursuites, a-t-on pris soin de souligner dans les rangs libéraux. En outre, Irving Shipbuilding entend conserver jalousement les contrats qu'elle a obtenus et ne compte pas accorder de contrats en sous-traitance au chantier naval Davie, soutenant avoir toute la capacité nécessaire pour remplir la commande du gouvernement fédéral, a déjà indiqué son président, Kevin McCoy.

La Davie comptait sur la construction d'un deuxième navire de ravitaillement, l'Obélix, mais le gouvernement fédéral a fait savoir qu'il n'avait pas besoin d'un second navire.