Le partenariat entre Bombardier et Airbus devrait permettre à la CSeries d'échapper à d'éventuels tarifs aux États-Unis, estime l'avionneur, en plus de faire en sorte que les efforts de Boeing se retournent contre le géant américain.

Selon une source, l'avionneur québécois dispose d'analyses juridiques indiquant qu'on ne peut appliquer des droits punitifs à la frontière puisque l'assemblage de l'avion pour ses clients américains s'effectuera à l'usine d'Airbus en Alabama.

«Cette ligne aux États-Unis peut régler cette dispute commerciale parce que (l'avion) est considéré comme un produit national (ce qui fait en sorte) que les tarifs ne s'appliquent pas», a expliqué mardi le président et chef de la direction de Bombardier, Alain Bellemare.

Celui-ci se trouvait à Toulouse, en France, avec le chef de la direction d'Airbus, Tom Enders, afin de discuter du partenariat entre les deux entreprises annoncé la veille.

À la Bourse de Toronto, l'action de Bombardier s'est envolée pour toucher un sommet annuel de 2,97 $. Le titre a clôturé à 2,73 $, en hausse de 37 cents, ou 15,68 %. En France, le titre d'Airbus a pris 3,72 euros, ou 4,83 %, pour coter à 80,79 euros. Quant à Boeing, le cours de son action est demeuré relativement inchangé, à 258,62 $ US.

Sans dépenser un seul sou, le géant européen devient l'actionnaire majoritaire du programme de la CSeries. La part de Bombardier sera de 31 %, alors que celle de l'État québécois - qui a injecté 1 milliard $ US en 2015 - recule à 19 %. La transaction, dont la clôture est prévue au milieu de 2018, doit obtenir le feu vert des autorités réglementaires dans quelques pays, dont au Canada.

Cette transaction constitue en quelque sorte une riposte à la plainte déposée par Boeing au printemps et ayant permis à Washington d'imposer des tarifs préliminaires d'environ 300 %.

«Nous allons continuer à nous opposer à cette plainte et nous estimons que la démarche est injustifiée», a affirmé M. Bellemare au cours d'une mêlée de presse.

Par voie de communiqué, Boeing a répliqué que la transaction entre Bombardier et Airbus n'avait aucun impact sur d'éventuels tarifs qui s'appliqueraient sur les pièces importées - comme les ailes de l'appareil - pour l'assemblage de la CSeries.

D'après diverses sources, Bombardier et Boeing ont tenté sans succès de dénouer l'impasse avant que le département américain du Commerce détermine qu'il y a eu des subventions indues totalisant 220 % pour les appareils CSeries exportés au sud de la frontière.

La multinationale québécoise a fait valoir à maintes reprises que les Américains seraient touchés par les tarifs parce que plus de la moitié des pièces des appareils de la CSeries sont produites par des fournisseurs américains, incluant les moteurs de Pratt & Whitney.

Bénéfique pour Bombardier

Si plusieurs ont déploré une perte de contrôle québécois de la CSeries, la majorité des analystes financiers ont estimé que d'un point de vue politique, Bombardier avait marqué des points.

«Puisqu'il y aura une ligne de production aux États-Unis, tout ce qui entoure la plainte de Boeing devrait se dissiper puisque la CSeries ne sera plus exportée au sud de la frontière pour les clients américains», a écrit Cameron Doerksen, de la Financière Banque Nationale, dans une note.

Pour David Pavot et Geneviève Dufour, du département du droit international à l'Université de Sherbrooke, Bombardier a peut-être joué le jeu des Américains en se tournant vers Airbus.

«C'est peut-être une stratégie de négociation où on dit: nous allons construire une ligne de production en Alabama (...) mais si vous la voulez, n'imposez pas de droits», a expliqué M. Pavot.

De son côté, Richard Aboulafia, de la firme américaine Teal Group, a identifié Boeing comme le perdant, puisque sa démarche a incité Bombardier à se tourner vers le plus important concurrent du géant américain.

«Cette transaction vient détruire la cause de Boeing, a-t-il indiqué dans un rapport. Ils (Boeing) et le département du Commerce peuvent poursuivre leurs démarches, mais la ligne de production en Alabama change la donne.»

Selon M. Aboulafia, le département du Commerce devrait conclure qu'il n'a pas l'autorité d'imposer des tarifs sur des avions envoyés de l'Alabama vers la Géorgie - où se trouve le siège social de Delta Air Lines.

Le transporteur américain, qui a passé une commande pouvant atteindre jusqu'à 125 CSeries, n'a pas voulu commenter la prise de contrôle de la CSeries par Airbus.

M. Aboulafia croit également que la transaction entre Bombardier et Airbus pourrait favoriser une alliance entre Boeing et la société brésilienne Embraer.

Les deux experts de l'Université de Sherbrooke se demandent maintenant si l'avionneur de Chicago pourrait tenter de prendre d'autres mesures afin de riposter contre Bombardier.

«On envoie des avions se faire assembler en Alabama, mais il n'en demeure pas moins que l'on implante une chaîne d'assemblage avec des produits extrêmement subventionnés», a expliqué Mme Dufour.

Selon plusieurs analystes, la transaction avec Airbus devrait contribuer à doubler la valeur du programme de la CSeries à plus de 4 milliards $ US tout en faisant diminuer les risques entourant l'avenir de la famille d'avions.