Si la tendance se maintient, la journée d'aujourd'hui pourrait être l'une des plus marquantes de l'histoire de Bombardier, avec la tombée possible de deux importantes nouvelles qui assombriraient grandement son avenir.

Bombardier laissée pour compte?

Le conglomérat allemand Siemens pourrait décider dès aujourd'hui, selon l'agence Reuters, d'unir ses activités ferroviaires à celles de la française Alstom plutôt qu'à celles de Bombardier, comme le voulait la rumeur depuis de longs mois déjà, ce qui a fait plonger l'action de Bombardier pour la deuxième séance de suite, à la Bourse de Toronto.

Après avoir lâché près de 6 % vendredi, l'action la plus échangée de Bombardier a cédé 4 % additionnels, hier. Les investisseurs s'inquiètent fortement de la possibilité que la division Transport de Bombardier, sa plus importante en termes de revenus, se retrouve esseulée aux abords de la piste de danse, forcée de regarder le mastodonte chinois CRRC et le nouveau géant européen Siemens-Alstom se partager l'essentiel des plus gros contrats à venir dans le secteur.

« Cette fusion créerait une entreprise avec des revenus combinés d'environ 18 milliards de dollars américains et pourrait placer Bombardier Transport en situation désavantageuse, à notre avis, compte tenu de sa plus petite taille (revenus de 7,6 milliards américains en 2016) », a par exemple écrit à ses clients Benoit Poirier, de Desjardins.

La possibilité d'un rapprochement entre Bombardier Transport et Siemens circule depuis au moins le mois d'avril dernier, alors que l'on croyait les deux entreprises près d'une entente.

En 2015, Alstom avait choisi de céder sa division Énergie à General Electric, plutôt qu'à Siemens, ce qui avait créé un froid entre les deux entreprises qui favorisait Bombardier, a expliqué hier au téléphone l'analyste Nicholas Heymann, de la firme William Blair. Si Siemens a choisi de se tourner vers Alstom après avoir discuté avec Bombardier, c'est peut-être d'abord pour augmenter son pouvoir de négociation avec cette dernière, croit-il. Elle aurait peut-être ensuite été séduite par la proximité d'Alstom avec Transmashholding, le plus important fabricant de matériel ferroviaire en Russie, un marché prometteur.

L'OPTION CHINOISE

Y a-t-il un avenir pour Bombardier Transport si elle devait être laissée perdante de cette danse à trois ?

« Je doute fort qu'ils restent en dehors de la danse », indique M. Heymann, en faisant référence à la grande tendance de consolidation de l'industrie.

Il existerait quelques autres partenaires potentiels pour Bombardier, dont la japonaise Mitsubishi, mais l'option la plus logique serait de s'allier aux Chinois, estime-t-il.

« Bombardier serait le bon partenaire pour les Chinois. Leurs relations avec la Chine sont beaucoup plus profondes que celles de Siemens ou d'Alstom. » - Nicholas Heymann

« Les Chinois investissent beaucoup en Amérique du Nord présentement et ont décroché plusieurs projets. Surtout, ils meurent d'envie d'entrer en Europe, le plus gros marché ferroviaire, où c'est difficile pour eux à cause des exigences en contenu local. »

Établie à Berlin, Bombardier Transport pourrait permettre à CRRC de répondre à ces exigences, rappelle M. Heymann. Quant à la forme que pourrait prendre un tel partenariat, elles sont toutes envisageables, selon lui.

Bombardier a refusé hier de commenter la situation, sinon pour dire qu'elle « réaffirme que son approche en ce qui a trait à la consolidation de l'industrie consiste à envisager de multiples options et à les évaluer en fonction de leur potentiel de création de valeur pour [ses] actionnaires ».

L'un de ces actionnaires est la Caisse de dépôt et placement, détentrice de 30 % de la division Transport.

Boeing pourrait gagner la première manche

À moins d'un revirement de dernière minute, le département américain du Commerce imposera cet après-midi des droits compensatoires temporaires sur l'importation d'avions de la C Series aux États-Unis. Il s'agit d'une étape dans un dossier qui pourrait décider de la vie ou de la mort du programme, voire de l'entreprise.

DE QUOI SE PLAINT BOEING ?

En annonçant la vente de 75 avions CS100, et une option pour 50 appareils supplémentaires, à Delta Airlines en avril 2016, Bombardier avait non seulement décroché la plus importante commande pour sa nouvelle gamme, mais aussi obtenu le sceau d'approbation tacite de l'un des plus importants transporteurs du monde et d'un premier client américain.

Pour ce faire, elle a toutefois dû faire une offre irrésistible à Delta. Boeing prétend que celle-ci ne paiera que 19,6 millions de dollars américains pour chacun des CS100 qu'elle a commandés, alors qu'ils coûteraient plus de 30 millions de dollars à construire. Elle accuse donc Bombardier d'avoir effectué du dumping aux États-Unis.

Toujours selon Boeing, ce sont les aides gouvernementales « illégales » fournies à Bombardier, notamment les investissements du gouvernement du Québec et de la Caisse de dépôt, qui auraient permis à Bombardier d'agir ainsi. Elle demande donc aussi l'imposition de droits compensatoires.

QU'EST-CE QU'EXIGE BOEING ?

L'entreprise américaine demande à son gouvernement d'imposer des droits antidumping et des droits compensatoires qui avoisineraient chacun les 80 % sur l'importation d'avions de la C Series aux États-Unis. Les clients de Bombardier, dont Delta, devraient donc verser près de 160 % du prix de l'avion en taxes à leur propre gouvernement, ce qui rendrait évidemment le choix de cet avion complètement rébarbatif.

QUELLE EST L'IMPORTANCE DE LA DÉCISION SERA ANNONCÉE AUJOURD'HUI ?

Le département du Commerce doit se prononcer sur le volet « droits compensatoires » de la plainte de Boeing, et ce, de façon intérimaire, en attendant une décision finale qui viendrait vers le mois de février 2018.

Théoriquement, son importance est minime. Les droits qui pourraient être imposés ne seraient appliqués qu'au moment de la livraison des avions aux États-Unis. Or, la première livraison à Delta n'est prévue qu'au printemps, après l'échéancier fixé pour une décision finale.

En pratique, elle prolongerait une incertitude qui, on le devine, n'aide pas Bombardier à convaincre de nouveaux clients américains.

QUELLES SONT LES CHANCES DE BOMBARDIER DE GAGNER ?

Le département du Commerce surprendrait tout le monde, y compris Bombardier elle-même, en lui donnant raison aujourd'hui. Le dossier n'en est qu'à une étape préliminaire, pour laquelle le fardeau de la preuve est relativement faible à assumer pour Boeing.

La direction de Bombardier se concentre plutôt sur ce qui va suivre, à savoir les interventions en vue de la décision finale. L'entreprise a plutôt bon espoir de l'emporter à ce moment, a expliqué le président de la division Avions commerciaux, Fred Cromer, la semaine dernière à Mirabel.

Plus spécifiquement, c'est à ce moment que Boeing devra faire la démonstration de dommages subis lors de la vente d'avions de Bombardier à Delta. Or, l'entreprise américaine n'avait même pas été invitée à participer à cette campagne d'achats, puisque depuis 2006, elle n'offre plus aucun appareil de la taille recherchée par Delta dans ce dossier.

Les nombreux analystes et chroniqueurs qui se sont prononcés sur le dossier au cours des derniers mois, y compris aux États-Unis, critiquent de façon presque unanime la position de Boeing, rappelant que l'entreprise est elle aussi fortement subventionnée et qu'elle a également offert des prix « imbattables » aux premiers clients de son récent modèle 787, y compris à Air Canada.

ET SI BOMBARDIER PERD ?

L'entreprise n'a encore jamais donné de détails sur ses options dans une telle situation. Ce serait un dur coup pour la C Series, puisque le marché américain est de loin le plus important pour ce type d'avion.

L'une des options évoquées serait de contourner les droits imposés en vendant les avions à une entreprise non américaine qui pourrait ensuite louer ceux-ci à des transporteurs américains.

REUTERS

Boeing demande à son gouvernement d'imposer des droits antidumping et des droits compensatoires qui avoisineraient chacun les 80 % sur l'importation d'avions de la C Series aux États-Unis.