C'est finalement mardi prochain - une journée plus tard que prévu - que Bombardier saura si Washington imposera ou non des mesures punitives préliminaires à l'endroit de la CSeries à la suite de la plainte déposée par Boeing au printemps.

Un porte-parole du département américain du Commerce a confirmé la date de la décision par courriel, mercredi.

La plupart des analystes financiers, ainsi que l'avionneur québécois, s'attendent à ce que les autorités américaines annoncent l'imposition de droits préliminaires sur les CSeries qui seront livrés au sud de la frontière.

Échaudé par la commande de 75 avions CS100 décrochée auprès de Delta Air Lines l'an dernier, Boeing allègue que les subventions octroyées à l'avionneur québécois lui avaient permis de vendre ses CSeries à des prix «dérisoires».

Le géant de Chigaco demande l'imposition d'un droit compensatoire d'au moins 79,41 %, ainsi qu'un droit antidumping de 79,82 %, sur les ventes d'appareils CSeries aux États-Unis.

Cette dispute commerciale a incité Ottawa à se mêler du dossier en laissant entendre qu'il pourrait abandonner son plan d'acheter 18 avions de combat Super Hornet, construits par Boeing, pour plusieurs milliards de dollars.

Le premier ministre, Justin Trudeau, a reçu l'appui de son homologue britannique, Theresa May, qui souhaite protéger des emplois en Irlande du Nord, où quelque 4200 personnes fabriquent les ailes des appareils CSeries.

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La Presse canadienne s'est entretenue avec David Pavot, spécialiste du droit international économique et chargé de cours à l'Université de Sherbrooke, pour brosser un portrait de la situation et avoir un aperçu de ce qui pourrait survenir au cours des prochains mois.

Qu'est-ce que les autorités américaines peuvent décider?

On pourrait décider de ne rien imposer, mais ce scénario est peu probable, selon David Pavot, spécialiste du droit international économique et chargé de cours à l'Université de Sherbrooke, qui anticipe des mesures punitives.

«(Washington) pourrait n'imposer qu'un seul droit ou un taux moins élevé, explique-t-il. Je pense que l'on peut s'attendre à l'imposition de droits à Bombardier.»

Par la suite, les autorités américaines devraient poursuivre leurs enquêtes avant de prendre une décision finale sur l'ampleur des taux imposés à l'avionneur québécois.

Quelle est la différence entre les droits compensatoires et les droits antidumping?

«Le droit compensateur vise l'octroi de crédits publics à un fabricant qui exporte ses produits», souligne M. Pavot, évoquant notamment le montant de 1 milliard $ US injecté par le gouvernement Couillard dans la CSeries.

En ce qui a trait au droit antidumping, il concerne les pratiques concurrentielles déloyales. Dans sa plainte, Boeing allègue que Bombardier a été en mesure de décrocher la commande pour 75 avions CS100 auprès de Delta en offrant de généreux rabais grâce aux subventions reçues.

Qu'est-ce qui se produit si les États-Unis imposent des droits préliminaires?

«Ce sont les produits importés qui vont être taxés, explique M. Pavot. Quand la CSeries va arriver aux États-Unis, on va le frapper d'un droit (selon le pourcentage déterminé). C'est l'importateur (Delta) qui paie les droits.»

Même si des mesures punitives sont annoncées, il n'y aura pas d'impact immédiat pour Bombardier, étant donné que les premières livraisons à Delta ne doivent débuter qu'au printemps 2018.

Quels recours s'offrent au gouvernement canadien pour riposter contre Washington?

Dès qu'une décision est annoncée, Ottawa peut décider de contester les mesures punitives auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), analyse M. Pavot.

«Tout cela peut se dérouler rapidement et un processus de consultations bilatérales se met en place à l'OMC, souligne le spécialiste. L'idée, c'est d'avoir une phase diplomatique de discussions d'au moins 60 jours. Faute d'un accord au terme de ce processus, le Canada est en droit de demander de passer au processus juridique.»

À tout moment, les deux parties peuvent régler leur litige de manière négociée, souligne M. Pavot, qui précise qu'il est peu probable que les deux parties puissent trouver une «solution à mi-chemin».

La dispute commerciale entre Bombardier et Boeing en quelques dates:

- 27 avril: Le géant de Chicago demande au département américain du Commerce et à la Commission du commerce international des États-Unis (ITC) d'agir contre les pratiques d'affaires de Bombardier.

- 18 mai: Le département du Commerce confirme le début d'une enquête. Aussitôt, Ottawa réplique et remet en question ses approvisionnements militaires liés à Boeing, comme les nouveaux avions de combat Super Hornet.

- 9 juin: L'ITC donne son feu vert afin que Washington poursuive son enquête sur les ventes de CSeries au sud de la frontière.

- 28 juin: À la demande de Boeing, le département du Commerce accepte de retarder de deux mois, soit jusqu'au 25 septembre, le dévoilement de sa décision préliminaire sur d'éventuels droits punitifs.

- 4 septembre: Le président de la division internationale de Boeing, Marc Allen, affirme que le géant américain n'a aucune intention de faire marche arrière et retirer sa plainte contre Bombardier.

- 5 septembre: En discutant au téléphone avec le président américain Donald Trump, la première ministre britannique Theresa May plaide en faveur de l'avionneur québécois, qui compte plus de 4000 employés à Belfast, en Irlande du Nord.

- 13 septembre: Manifestation au centre-ville de Montréal de centaines de syndiqués du secteur aéronautique pour dénoncer la démarche de Boeing.