Si la CSeries a été stabilisée par des investissements gouvernementaux, la plainte que vient de déposer Boeing contre Bombardier auprès des autorités américaines pourrait être annonciatrice de turbulences, d'après des experts et analystes.

Toutefois, pour le moment, ceux-ci ont de la difficulté à jauger précisément l'impact de la démarche entreprise par le géant américain de l'aéronautique établi à Chicago.

En faisant appel aux autorités américaines plutôt qu'à l'Organisation mondiale du commerce - comme l'a fait le Brésil pour s'attaquer au soutien du Canada à l'industrie aéronautique - Boeing pourrait réaliser un gain rapide, estime Patrick Leblond, professeur à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa.

«Un peu comme dans le dossier du bois d'oeuvre, on pourrait se retrouver avec l'imposition de droits compensateurs à la frontière pour les produits de Bombardier», a-t-il expliqué au cours d'un entretien téléphonique.

David Tyerman, de Cormark Securities, a abondé dans le même sens.

«C'est généralement très long lorsque l'on fait appel à l'OMC et on en arrive souvent à une solution négociée, a dit l'analyste. Le processus pourrait être plus rapide avec la route empruntée par Boeing et il pourrait y avoir des pénalités.»

Boeing s'est tourné vers le département du Commerce et la Commission du commerce international des États-Unis (ITC) pour demander une enquête sur une campagne jugée «agressive» par Bombardier pour «vendre ses appareils de la CSeries sur la marché américain à des prix dérisoires».

Ces allégations ont été réfutées tant par Bombardier que par les gouvernements Couillard - qui a injecté 1,3 milliard pour 49,5 % de la CSeries - et Trudeau, qui vient de consentir un prêt de 372,5 millions.

Boeing n'a pas voulu dire s'il comptait demander au gouvernement américain de joindre le Brésil à l'OMC contre le Canada.

La plainte du géant américain constitue néanmoins un autre événement qui vient envenimer les relations commerciales canado-américaines alors que l'administration Trump vient d'imposer une taxe sur les exportations canadiennes de bois d'oeuvre canadien, s'est attaquée aux producteurs laitiers en plus de vouloir renégocier l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

Boeing en a particulièrement contre la commande de 75 avions décrochée par Bombardier auprès du transporteur américain Delta Air Lines l'année dernière.

L'entreprise allègue que les informations publiques disponibles montrent que les CSeries seraient vendus aux États-Unis «moins de 20 millions US pour des appareils qui coûtent 33 millions US à produire».

Un porte-porte de Bombardier, Bryan Tucker, a réfuté cette information, sans pour autant dévoiler de montant.

La plainte de Boeing semble avoir pesé sur le titre de Bombardier, qui, à la Bourse de Toronto, a terminé la séance à 2,11 $, en recul de neuf cents, ou 4,09 %.

Airbus - un autre concurrent de Bombardier dans le secteur des avions commerciaux - n'a pas voulu dire s'il comptait imiter Boeing en se plaignant auprès des autorités européennes.

Plus difficile à vendre?

De son côté, Lawrence Herman, un avocat de Toronto spécialisé en commerce, croit qu'une enquête du département du Commerce aura une incidence commerciale pour Bombardier au sud de la frontière.

«Les acheteurs potentiels ont tendance à ne pas s'engager jusqu'à ce qu'il y ait un dénouement, alors je pense qu'il risque d'y avoir un impact», a-t-il affirmé.

M. Herman estime que ce litige pourrait s'étaler sur plusieurs années, mais que l'imposition d'éventuels droits compensateurs pourrait être annoncée au cours des prochains mois.

Pour sa part, l'analyste Richard Aboulafia, de la firme américaine Teal Group, a estimé que la démarche de Boeing était erronée.

À son avis, la CSeries n'a qu'un impact marginal sur la vente d'avions du géant américain. Il ajoute que l'argument de l'entreprise selon lequel Bombardier a vendu ses avions à des prix jugés agressifs ne tient pas la route étant donné qu'il s'agit d'une pratique fréquente dans l'industrie.

M. Aboulafia a souligné que Boeing avait utilisé la même approche pour vendre son 787 Dreamliner à Air Canada.

«L'impact de la CSeries sur (le portefeuille de produits de Boeing) est marginal, affirme-t-il. Tout cela est vraiment à propos de la commande de Delta.»

L'analyste croit également que Boeing prend un risque en attaquant Bombardier puisque le gouvernement Trudeau s'apprête à acquérir 18 de ses avions de chasse Super Hornet afin de soutenir l'armée de l'air canadienne en attendant de remplacer toute la flotte de vieux chasseurs CF-18.