La Caisse de dépôt et placement du Québec ne parviendra pas à rentabiliser son train électrique avec les seules recettes tarifaires et les contributions que versent actuellement les municipalités et les gouvernements au réseau.

Selon une analyse fouillée, le projet souffrira d'un manque à gagner d'environ 240 millions de dollars par année. Ce trou budgétaire annuel devra être comblé par une nouvelle contribution provenant des municipalités, du gouvernement du Québec ou des usagers.

Pour tirer de telles conclusions, nous avons épluché le rapport d'achalandage final du Réseau électrique métropolitain (REM) et les budgets de l'Agence métropolitaine de transport (AMT), de la Société de transport de Montréal (STM) et des autres réseaux de la région. Deux experts qui travaillent dans le secteur des transports en commun depuis plusieurs années ont participé à l'exercice.

Selon nos informations, le gouvernement du Québec est bien conscient de ce coûteux problème, qui n'était pas connu du public depuis le lancement du projet, en janvier 2015. Au départ, les observateurs avisés avaient tous compris que le REM s'autofinancerait, en quelque sorte, c'est-à-dire qu'il ferait ses frais grâce à l'explosion de la fréquentation, à la plus-value foncière et à une contribution des gouvernements équivalente à celle d'aujourd'hui.

Le portrait est devenu plus clair depuis que les hypothèses d'achalandage et de tarifs sont apparues dans un rapport rendu public il y a un mois. Selon ce rapport, la Caisse travaille à l'élaboration d'une tarification intégrée à celle de l'ensemble du réseau et donc équivalente à ce qu'on retrouve actuellement (carte OPUS, tarification à l'unité, etc.). L'hypothèse est cruciale, car elle influe grandement sur la fréquentation. Des tarifs trop hauts ne permettraient pas de remplir le REM (1).

Le manque à gagner de 240 millions par année est approximatif. Il dépend des coûts finaux du projet et du rendement exigé par la Caisse, entre autres.

Selon nos estimations, le REM serait en mesure de dégager un profit d'exploitation annuel de l'ordre de 20 à 66 millions, grâce à un système très efficace, comme à Vancouver. Ces profits seraient toutefois nettement insuffisants pour rembourser le rendement exigé par la Caisse, qui pourrait excéder les 300 millions par année.

L'institution, faut-il le rappeler, injectera 3,1 milliards dans ce projet et exigera un rendement annuel satisfaisant pour ses déposants. Ce rendement sera connu du public et validé par un organisme indépendant. En échange de ce rendement, la Caisse prendra le « risque d'achalandage » et de l'exécution du projet, notamment.

Ailleurs dans le monde, la Caisse exige habituellement un rendement de quelque 10 % sur ce genre d'investissement, selon les divers paramètres locaux. Ce rendement de 10 % équivaut à 310 millions par année, ce qui, compte tenu des possibles profits d'exploitation de 66 millions du REM, se traduirait par un manque à gagner annuel de 244 millions pour les contribuables (nous avons arrondi à 240 millions).

Cette somme annuelle s'ajoutera à l'injection de départ du gouvernement du Québec, possiblement de 1,5 milliard, et à celle du fédéral, qui pourrait avoisiner le milliard de dollars. Une telle injection des deux gouvernements signifie une dépense annuelle d'intérêts de quelque 100 millions, qui viennent en sus du manque à gagner annuel de 244 millions.

Pour notre estimation, nous avons fait l'hypothèse que le REM ferait croître de 57 % la fréquentation des zones qu'elle desservira, tel que le prévoit le rapport du mois dernier. L'achalandage passerait de 102 000 à 161 000 passagers par jour au terme de l'adoption progressive du REM.

Tous les chiffres sont en dollars d'aujourd'hui, même si l'adoption progressive du REM sera achevée en 2026, cinq ans après son inauguration.

Fait à préciser, si la Caisse exigeait un rendement moindre, par exemple 8%, le manque à gagner reculerait à 180 millions.

Réplique de la Caisse

La Caisse de dépôt nie qu'il y aura un tel manque à gagner, affirmant que le REM ne coûtera pas plus cher aux autorités publiques que les réseaux actuels qu'il remplace, à fréquentation égale.

« Les contributions publiques au transport collectif sont actuellement proportionnelles à l'achalandage, et ce serait encore le cas avec le REM », écrit dans un courriel le porte-parole Jean-Vincent Lacroix.

Selon nos estimations, justement, la hausse de l'achalandage du REM ferait augmenter les contributions publiques d'environ 80 millions par année. Le reste du manque à gagner (160 millions) pourrait être attribué à l'amélioration du réseau (qualité, fréquence, etc.), en quelque sorte.

La Caisse fait par ailleurs valoir que le réseau actuel (autobus express, trains de banlieue) ne permet plus de hausse de la fréquentation, qu'il est saturé.

«  Le REM offrira un service de qualité et à haute fréquence, qui promet de transformer la mobilité dans la région et d'améliorer la performance du transport collectif. Et ce, au même niveau de coût par passager-kilomètre que les réseaux actuels. Pour des revenus par passager-kilomètre équivalents à ceux des réseaux actuels, le REM couvrira non seulement ses frais d'exploitation, mais également les coûts d'immobilisation, ce qui démontre la très grande efficacité du modèle d'affaires. Prétendre le contraire revient à induire le public en erreur », écrit Jean-Vincent Lacroix.

(1) Seul le tarif depuis l'aéroport sera différent. Un surplus sera facturé aux voyageurs qui débarquent à Montréal et utilisent le REM. Ce surplus augmenterait le tarif moyen d'environ 5 $, ce qui pourrait faire passer le tarif à l'unité à 15 $, voire plus.