Pour des raisons pratiques, l'aviation civile a été laissée de côté dans tous les accords internationaux sur le climat. En effet, difficile de concevoir un système de contrôle de la pollution pour une industrie qui est pour l'essentiel transfrontalière. Cela pourrait changer cette semaine à Montréal : les pays membres de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) doivent se prononcer sur un projet ambitieux de réglementation du secteur.

Les émissions du secteur transport aérien vont tripler d'ici le milieu du siècle, selon la tendance actuelle. Les pays membres de l'OACI doivent décider cette semaine s'ils relèvent le défi de stopper la hausse des émissions de gaz à effet de serre du secteur au niveau de 2020. La cible a été fixée en 2010, mais il faut maintenant la rendre obligatoire. « C'est un moment important parce que l'OACI ne se réunit en assemblée qu'aux trois ans », a affirmé Lou Leonard, du Fonds mondial pour la nature (WWF). M. Leonard participait récemment à une conférence téléphonique conjointe de grands organismes environnementaux internationaux. Il souligne que l'assemblée de l'OACI survient moins d'un an après la Conférence de Paris sur le climat. « C'est une occasion pour les gouvernements d'aller au-delà des paroles et de mettre en oeuvre des mesures concrètes », dit M. Leonard.

La compensation hors secteur sera la clé

L'aviation peut devenir plus efficace et consommer moins de kérosène par passager. La tendance est déjà là, avec entre autres l'apparition de modèles d'avion plus performants. Il y a aussi des possibilités de remplacer le kérosène par des biocarburants. Techniquement, la preuve en a été faite sur des vols commerciaux. Mais ce ne sera pas suffisant : les avancées techniques ne sont pas assez rapides pour compenser la croissance du transport par avion. « La croissance du trafic aérien est dominante dans les scénarios », affirme Dan Rutherford, de l'organisme International Council on Clean Transportation. L'aviation devra donc s'appuyer sur des réductions d'autres secteurs, comme en foresterie ou en production d'électricité. Cela va susciter une demande pour des crédits carbone créés par des projets de dépollution dans ces secteurs.

Des tensions nord-sud

Le projet de texte à l'étude cette semaine a l'appui de plusieurs pays - la Chine et les États-Unis notamment - mais ne fait pas l'unanimité. Une pomme de discorde : comment traiter une compagnie ou une région où la croissance est lente par rapport à une autre où elle est forte ? Les soumettre tous à un plafonnement équivaut à ralentir la croissance à un endroit et donner une clause « grand-père » à un autre. Annie Petsonk, de l'Environmental Defense Fund, va suivre de près les négociations cette semaine en espérant que ces tiraillements ne feront pas voler le projet en éclats. « Si le système est implanté, la diminution des émissions équivaudrait à celles de l'Espagne ou de la Californie », avance-t-elle.

Un projet imparfait

Le projet de l'OACI ne vise que les liaisons internationales, soit 60 % des émissions du secteur de l'aviation civile. Certains pays réglementent les émissions des vols intérieurs : l'Union européenne a soumis le kérosène au système d'échange de droits d'émissions en vigueur là-bas. Mais la plus grande part des vols intérieurs échappe à toute réglementation climatique. Puis, la participation au système envisagé par l'OACI sera d'abord volontaire. Et pour l'instant, il y a peu d'entraves pour empêcher un participant de se retirer. Enfin, l'impact envisagé sur le prix du carburant - de l'ordre de 5 à 10 cents le gallon - sera bien insuffisant pour stimuler l'innovation, notamment dans les biocarburants, selon M. Rutherford. « Jusqu'à maintenant, les biocarburants coûtent de deux à trois fois plus cher que le kérosène », dit-il.

Objectif ambitieux mais insuffisant

Même si les pays s'entendent cette semaine pour freiner la croissance des émissions à leur niveau de 2020, c'est insuffisant pour ralentir le réchauffement de la planète. Pour cela, il faudrait que les émissions se mettent à reculer. C'est dû au très long séjour d'une bonne partie des émissions de CO2, le principal gaz à effet de serre, dans l'atmosphère. « Trente pour cent des émissions sont absorbées dans les 30 premières années, mais pour 50 %, cela ce fait sur l'échelle de plusieurs centaines d'années, pour 20 %, sur l'échelle de millénaires », affirmait dans une étude publiée en 2013 le professeur David Lee, du Centre de recherche sur l'aviation, le transport et l'environnement, à la Manchester Metropolitan University.

Un carburant peu cher

Le cours du kérosène a chuté avec celui du pétrole en 2014 : il est passé de 2,90 $US à 1,35 $US le gallon, soit environ 44 cents canadiens le litre. En vertu de la Convention de Chicago sur l'aviation civile de 1944, il ne peut y avoir de taxe sur le carburant qui entre dans un pays à bord d'un avion. Cela a fait en sorte que le kérosène n'est généralement pas taxé pour les vols internationaux. Mais il n'en produit pas moins des gaz à effet de serre (GES). Le secteur de l'aviation civile représente 2 % des émissions mondiales de CO2 et 12 % de celles du secteur des transports.

Quelques chiffres

25 000

Le nombres d'avions dans le monde

1,5 milliard

Le nombre de barils de kérosène consommés annuellement

664 milliards US

Le PIB qu'aurait le secteur de l'aviation s'il était un pays ; il serait la 21e économie mondiale

3 L aux 100 km

La consommation par passager des plus récents avions (Airbus A380, Boeing 787 ou Bombardier C-Series)