L'organisme provincial responsable de la santé et de la sécurité du travail et les Ponts Jacques Cartier et Champlain (PJCC) ne s'entendent pas sur l'identité du maître d'oeuvre de la réfection du vieux pont Champlain. L'enjeu est de déterminer qui est ultimement responsable de la santé et de la sécurité sur le chantier, où un travailleur est mort noyé le 15 septembre 2015.

Ce jour-là, un employé est tombé à l'eau après le renversement de la plateforme. Il s'affairait à son démantèlement.

Dans le rapport d'enquête sur l'accident mortel, la Commission identifie clairement PJCC comme maître d'oeuvre du chantier. La société fédérale a immédiatement répliqué en publiant un communiqué affirmant que c'est l'entrepreneur qui est le maître d'oeuvre de son propre chantier.

Pour la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), PJCC est le maître d'oeuvre puisqu'elle assure la gestion, l'entretien et la réfection des infrastructures du pont Champlain. C'est donc à elle que revient la responsabilité de créer un comité de chantier, une instance formelle qui veille à la santé et à la sécurité sur le chantier et qui doit se réunir toutes les deux semaines.

« [Le] rôle [du maître d'oeuvre] devient encore plus important dans un dossier comme celui-ci où les chantiers de construction se chevauchent et où l'entrepreneur sur un chantier est susceptible de traverser l'un ou l'autre des chantiers, ou même de partager l'exécution du travail avec un autre entrepreneur », écrit la Cour supérieure dans un jugement rendu le 31 mai dernier qui, par ailleurs, donne raison à PJCC.

De son côté, la société de la Couronne soutient ne pas être assujettie à la Loi québécoise sur la santé et sécurité du travail (LSST). De plus, les contrats qu'elle attribue stipulent que chaque entrepreneur est le maître d'oeuvre de son chantier et qu'il doit donc prendre tous les moyens requis, par l'application de son programme de prévention, pour protéger son personnel, ses équipements et les ouvrages.

Le litige dure depuis un certain temps, mais il a tourné à l'avantage de PJCC dernièrement. 

Le jugement de la Cour supérieure en mai 2016 est venu valider une décision de la Commission des lésions professionnelles (CLP) qui lui était favorable. Les deux tribunaux ont statué que la LSST ne s'applique pas à la société fédérale. En juillet dernier, la Cour d'appel a refusé d'entendre la cause.

« VIDE JURIDIQUE »

Mais au-delà des questions de juridiction, qu'en est-il de la santé et de la sécurité des travailleurs, puisqu'il n'y a pas de véritable maître d'oeuvre ni de comité de chantier pour la réfection du pont Champlain ? Une situation qui n'est pas sans inquiéter la Cour supérieure.

« Même si chaque entrepreneur sur un chantier s'engage à assumer les responsabilités de maître d'oeuvre, dans les situations de chevauchement, lequel assurerait que les mesures de sécurité soient adéquates ? Est-ce que la CSST pourrait poursuivre un entrepreneur qui fait défaut de respecter ses engagements contractuels ? Est-ce que l'entrepreneur ainsi poursuivi pourrait se défendre en faisant valoir qu'il ne rencontre pas la définition de maître d'oeuvre de la LSST ? Il risque donc d'y avoir un vide juridique », écrit le juge Thomas Davis.

Les récents reculs juridiques ne semblent pas démonter les services juridiques de la CNESST, qui affirment continuer d'étudier le dossier.

À noter que le conflit ne porte pas sur le nouveau pont, dont la maîtrise d'oeuvre a été attribuée au consortium Signature sur le St-Laurent Construction. Celui-ci a mis en place un comité de chantier.