Bombardier pourrait bien décrocher la commande tant attendue pour asseoir sa famille d'avions C Series sur une base solide à long terme et se faire une place parmi les constructeurs d'avions de grande taille, aux côtés d'Airbus et de Boeing.

Le transporteur américain Delta Air Lines s'apprête à conclure une entente avec Bombardier pour l'achat de jusqu'à 125 appareils C Series, a rapporté le Wall Street Journal jeudi après-midi après avoir parlé à trois personnes au courant des négociations. Un accord final est prévu d'ici la fin du mois, selon le quotidien new-yorkais. Il porterait sur 75 commandes fermes et 50 options. L'agence Bloomberg a ensuite publié une dépêche allant dans le même sens.

« Ça représenterait un jalon très important. Comme Delta a la réputation d'être un acheteur d'avions très intelligent, ça donnerait beaucoup de crédibilité à la C Series », a confié à La Presse l'analyste Benoit Poirier de Desjardins Marché des capitaux.

Aux prix courants pour des appareils CS300 de 130 à 150 places, le contrat se chiffrerait à plus de 6 milliards US pour les commandes fermes et à plus de 10 milliards US si toutes les options étaient exercées. Mais les acheteurs d'avions paient rarement les prix courants; Air Canada a obtenu un rabais de plus de 60 % pour ses CS300, selon le Globe and Mail. Des sources de l'industrie indiquent par ailleurs qu'une partie du contrat pourrait comprendre des CS500, une version allongée pouvant transporter jusqu'à 180 passagers qui n'a pas encore été officiellement lancée et dont le prix n'est pas connu.

« Bombardier aimerait bien sûr obtenir la confirmation de cette commande et de tout plein d'autres, a réagi Isabelle Gauthier, porte-parole de Bombardier Avions commerciaux. Nous sentons un momentum en ce moment, nos campagnes de vente progressent très bien. »

Clients de marque

Bombardier a déjà recruté des clients de marque pour la C Series, dont Swiss, filiale du géant allemand Lufthansa, et Korean Air. En février, Air Canada a signé une lettre d'entente portant sur 45 avions C Series qui devrait être confirmée au cours des prochaines semaines. Rappelons qu'Air Canada et Delta ont fait partie des tout premiers acheteurs de jets régionaux CRJ, un programme de Bombardier qui a connu un vif succès commercial.

Or, jusqu'ici, aucune grande compagnie aérienne américaine n'a commandé d'appareils C Series, ce qui empêche le programme de prendre sa vitesse de croisière, selon plusieurs observateurs de l'industrie. En 2010, le transporteur régional Republic Airways, établi à Indianapolis, a commandé 40 appareils C Series, mais ce contrat est en voie d'être annulé en raison de la restructuration judiciaire de l'entreprise. Selon plusieurs sources, il serait repris par Delta.

Des observateurs font remarquer que Bombardier a repoussé d'une journée son assemblée annuelle, qui aura lieu le vendredi 29 avril à ses installations de Mirabel plutôt que le jeudi 28 avril. Or, selon des forums en ligne de pilotes, la réunion du conseil d'administration de Delta où doit être entérinée la commande de C Series aura lieu le jeudi 28 avril. Isabelle Rondeau, porte-parole de Bombardier, a toutefois assuré jeudi que le report était lié à la logistique entourant la tenue de l'événement à Mirabel.

Action survoltée

La perspective d'une commande de Delta a fait valser l'action de Bombardier pendant toute la journée de jeudi.

Peu après l'ouverture de la Bourse de Toronto, l'action a bondi de 9,8 %, atteignant un sommet qu'on n'avait pas vu depuis octobre dernier. Mais aussitôt que les dirigeants de Delta ont affirmé, au cours d'une conférence téléphonique en matinée, qu'une décision d'acquisition d'avions ne serait pas prise avant la tenue d'une rencontre d'analystes, le mois prochain, le titre a perdu de l'altitude, entrant même en territoire négatif. Il a toutefois repris de la vigueur en milieu d'après-midi pour clôturer à 1,53 $, en hausse de 7 %. L'article du Wall Street Journal a été publié après la fermeture des marchés.

Le chef de la direction financière de Delta, Paul Jacobson, a rappelé que le transporteur d'Atlanta se donnait cinq ans pour remplacer ses 115 avions MD-88, dont l'âge moyen est de plus de 25 ans. La commande d'avions à fuselage étroit que Delta passera devra aussi permettre de poursuivre la mise au rancart de vieux jets régionaux de 50 places, amorcée il y a quelque temps déjà, a précisé M. Jacobson.

« Comme toujours, nous allons demeurer disciplinés en ce qui a trait au déploiement des capitaux », a-t-il assuré. Le futur PDG de Delta, Ed Bastian, qui entrera en poste le 2 mai, n'a pas exclu jeudi de reprendre certains avions dont le transporteur brésilien GOL songe à se départir. Outre Bombardier, Airbus, Boeing et Embraer convoitent eux aussi la commande d'avions monocouloir de Delta.

Bombardier caresse de sérieux espoirs depuis janvier. Le prédécesseur de M. Bastian, Richard Anderson, avait alors déclaré que l'entreprise envisageait « sérieusement » l'achat d'avions C Series, les qualifiant d'« impressionnants ». Mais le mois dernier, Ed Bastian s'était inquiété du prix potentiellement élevé de l'appareil de Bombardier.

Delta a par ailleurs dévoilé jeudi des résultats trimestriels supérieurs aux attentes des analystes, la faiblesse des prix du carburant faisant plus que compenser le recul des revenus.